La conversion religieuse comme éveil spirituel

Adopter une nouvelle religion est une étape dans la spiritualité de nombreuses personnes. Cette évolution personnelle devient alors le moyen de se « parfaire », presque une « technique de développement personnel », selon Géraldine Mossière.

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« Quand on parle de conversions au sens très large et commun, on pense à « changement de religion » », explique Géraldine Mossière, anthropologue spécialiste des questions de conversions religieuses autour de l’Islam à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. « La sociologue des religions Danièle Hervieu-Léger identifie trois types de changements de religions : une personne qui a une religion et qui décide d’en adopter une autre, une personne qui n’a pas de religion qui décide d’en adopter une, ou une personne qui est née dans une certaine religion mais qui n’a pas forcément été éduquée dans celle-ci et qui décide de revenir à ces croyances et ces pratiques. » Quel que soit le modèle, Géraldine Mossière explique que « c’est un terme qui est très connoté par la vision que nous avons dans le christianisme de la conversion, c’est-à-dire un tournant dans sa vie » qui serait lié « à une expérience soudaine […] mais il y a d’autres modèles, plus progressifs », ce qui lui fait dire que « de façon générale, la conversion est une reconfiguration de l’identité selon d’autres paramètres ».

« J’ai senti dans mon cœur vraiment un sentiment très fort »

Géraldine Mossière continue, « souvent, à la source de la conversion, il y a le fait que l’on se reconnaisse dans une autre façon de se représenter le monde, d’autres croyances et aussi d’autres pratiques du quotidien ». Alice, une jeune convertie au catholicisme explique que « au-delà de l’expérience spirituelle que j’ai vécue, c’est sa beauté et ses valeurs [à la religion] que je n’ai retrouvées nulle part ailleurs ». Athée convaincue et socialisée dans une famille « pas spécialement croyante », mais curieuse depuis toujours de comprendre le fonctionnement des religions, elle ne s’intéressait pas forcément à la religion catholique, pensant « avoir fait le tour ». Pourtant, il y a un peu plus d’un an, Alice a un déclic : « un jour, j’étais chez moi et j’ai senti dans mon cœur vraiment un sentiment très fort qu’il fallait que j’aille chercher ma Bible au grenier. Je l’ai ouverte et j’ai été touchée par ce que je lisais comme si je ne l’avais jamais vraiment lue ou du moins sans comprendre ». Si les textes religieux sont, après la conversion, le principal support des convertis, Géraldine Mossière explique que « à la base de la conversion, il y a souvent la découverte d’une autre religion par l’intermédiaire de l’un de ses représentants. Dans ma première recherche sur les conversions à l’Islam, j’ai rencontré environ 80 personnes qui s’étaient converties et il y en avait une seule qui s’était convertie après avoir découvert l’Islam en lisant le Coran. Toutes les autres avaient découvert l’Islam par un voisin, un amoureux, un collègue, etc. ».

La recherche d’un apaisement

Dans de nombreux cas, les convertis adhèrent à une forme de spiritualité pour apaiser une situation devenue compliquée ou se parfaire sur le plan personnel. À 73 ans, Dominique a fait évoluer sa « spiritualité » – qu’elle préfère au terme de « religion » –  à de nombreuses reprises pour retrouver « le contrôle en passant par la compréhension [d’elle-même] », pour « comprendre pourquoi les émotions viennent et essayer de les maîtriser ». Catholique dans son enfance, avec une éducation religieuse quotidienne donnée par sa grand-mère, elle s’est tournée vers une spiritualité qui s’apparente au bouddhisme après avoir passé de nombreuses années à capitaliser des informations sur le judaïsme, le catholicisme, le bouddhisme, mais aussi des lectures sur la méthode Vittoz (sur les thérapies sensorielles et le contrôle cérébral), la Qabale (loi orale et secrète du judaïsme) ou différents travaux dont ceux d’Arnaud Desjardins (sur une méthode laïque proposant une synthèse des religions).

Du côté de l’Islam, Géraldine Mossière a observé que les convertis apprécient le fait qu’il n’y a pas d’intermédiaires entre le croyant et son Dieu. Pourtant, elle explique aussi que cette religion a une portée plus politique : « Beaucoup de jeunes vont s’approprier l’Islam comme d’un langage pour exprimer une contestation […] en France certains me disaient que l’adage Liberté, Égalité, Fraternité, dans les banlieues, ce n’est pas du tout ça. C’est une façon de contester la société mainstream ». Dans certains cas, « l’Islam est parfois devenu un langage de protection. Parce que quand on choisit l’Islam on est souvent respecté dans ces banlieues-là ». « Mais attention, en disant ça, je ne veux vraiment pas minimiser le fait qu’il y a aussi une foi ».

« Aujourd’hui, je ne fais plus de crises d’angoisse et mes études vont mieux que jamais »

La foi de ces convertis est donc souvent reliée à la recherche d’un bien-être. Après un an dans l’Église catholique, Alice explique les effets qu’elle a ressentis : « j’étais quelqu’un d’assez angoissé et je galérais à l’école. Pour la première fois de ma vie, et grâce à Dieu, j’ai réussi à dépasser ça. Aujourd’hui je ne fais presque plus de crise d’angoisse et mes études vont mieux que jamais, je ne me sens jamais seule, j’ai pris confiance en moi ». Pour Dominique, sa spiritualité lui a permis de « sortir plus forte des épreuves, voir la suite du chemin et trouver la joie ». Cela l’a amenée à parvenir « à accepter les changements, éviter la fatalité et oser ». Deux témoignages que Géraldine Mossière corrobore : « pour beaucoup, les pratiques religieuses permettent un travail sur soi, ce sont quasiment des techniques de développement personnel. Certaines personnes m’ont dit avoir réglé des problèmes de fatigue chronique grâce au rythme imposé par les prières quotidiennes ou avoir arrêté de fumer pendant le ramadan ».

L’équipe du projet Religære

Noah Bergot, Valentine Brevet, Maxime Conchon, Bastien Dufour et  Laura Hue