mars 08

Étiquettes

L’Inde, un pays ‘’Modi’’ pour les femmes

Chaque année en Inde, des milliers de femmes sont victimes de violences physiques ou sexuelles. Un rapport de Reuters classe l’Inde comme l’un des pays les plus dangereux pour une femme. L’Uttar Pradesh est la région la plus touchée par les meurtres et les viols. 

Des militants manifestant pour condamner le viol collectif et le meurtre présumés d’une jeune femme dans le village de Bool Garhi à Hathras dans l’État d’Uttar Pradesh, à la veille de la  »Journée Internationale des  Jeunes Filles » à Mumbai, le 10 octobre 2020. INDRANIL MUKHERJEE/AFP

Quinze ans que le parti hindouiste radical, Bharatiya Janata Party (Parti Indien du Peuple) est au pouvoir et fort est de constater que la condition de la femme en Inde n’a que très peu évolué. Le Premier ministre et chef du parti, Narendra Modi, affirme qu’il y a eu de nombreuses améliorations concernant la condition de la femme. Mais aucune preuve tangible n’en est apportée. Depuis son investiture en 2014, il n’y a pas de réelle baisse des violences envers les femmes. La Cour Suprême reconnaît qu’il n’y a eu que très peu d’avancées. L’idée que la femme est un être inférieur est encore très ancrée dans la société traditionnelle indienne.

En 2021, 28 000 femmes ont été violées en Inde

La culture du viol est une véritable plaie en Inde. L’Inde durcit sa législation en 2013 et le Parlement indien adopte une loi « anti-viol » contre les agressions sexuelles. Elle condamne tous les violeurs à au moins 20 ans de prison. En cas de décès de leur victime ou si la victime a moins de 12 ans, l’incriminé peut être condamné à la prison à perpétuité ou à la peine de mort. Cependant, très peu de viols sont reconnus et condamnés. Cette loi n’est pas suffisante pour véritablement enrayer la culture du viol. Le viol conjugal n’est toujours pas reconnu comme un crime par la loi indienne : « Les rapports sexuels ou les actes sexuels d’un homme avec sa propre femme, celle-ci n’étant pas âgée de moins de quinze ans, ne constituent pas un viol ». En 2021, selon les chiffres donnés par le gouvernement indien, 28 000 femmes ont été violées. Une légère baisse par rapport à 2020, mais il ne s’agit là que des victimes qui ont été reconnues par les autorités indiennes. Le véritable nombre de viols en Inde est bien plus important. En 2020, en moyenne, une femme était violée toutes les 40 secondes. L’Organisation des Nations Unies a classé le viol comme un problème national en Inde. 

Le 28 janvier 2022, à New Delhi, onze personnes ont été arrêtées pour le viol collectif et l’exhibition d’une jeune femme de 21 ans. Des images ont été diffusées sur les réseaux sociaux, plusieurs femmes bousculent, frappent la jeune femme et encouragent les hommes à la violer. Selon les autorités, il s’agirait d’un règlement de compte entre deux familles. Cette affaire a provoqué l’indignation de l’opinion publique. Les faits se sont produits près du domicile de la victime et non loin d’un commissariat de police. Au moment de l’agression, aucun policier n’est intervenu. Les nombreuses associations et organisations non-gouvernementales pointent du doigt l’inaction des autorités indiennes et le fait que de nombreuses plaintes pour viol ne sont pas portées devant les tribunaux.

Quand le genre détermine la survie

Le 4 février 2022, le corps d’une enfant de six ans a été retrouvé derrière un hôpital à Etah en Uttar Pradesh. Elle a été kidnappée par deux hommes : le  Prince Ojha, 19 ans, et Rohit Nayak, 22 ans, tous deux appartenant à des castes élevées. Ils voulaient kidnapper un jeune garçon pour demander une rançon.  S’étant rendu compte qu’il s’agissait d’une fille, l’un des deux hommes en profita pour la violer. Le genre de la victime change complètement son traitement. Le fait d’être une fille lui a été fatal. Pour les criminels, sa vie valait moins que s’il s’était agi d’un jeune garçon, la rançon n’aurait peut-être pas été la même.

Le 21 janvier 2022, une jeune fille de 16 ans  a été violée puis assassinée à Bulandshahr en Uttar Pradesh. Elle a été vue pour la dernière fois avec un garçon d’une caste élevée. Son corps a été récupéré par la police qui a forcé la famille à l’incinérer la nuit, à l’abri des regards. Cette affaire révèle un fléau qui gangrène l’Inde encore aujourd’hui : la persistance des systèmes de castes. Cette affaire n’est pas un cas isolé. Un grand nombre de viols sont commis par des hommes de castes supérieures sur des femmes appartenant aux castes les plus basses comme l’explique le sociologue Gérard Heuzé : ’’ Des hommes très influents et leurs hommes liges n’hésitent pas à violer […] des femmes pauvres et appartenant à des communautés de bas statut impliquent en outre l’appareil d’État. (Il agit) comme une structure d’impunité reproduisant les rapports de violence sociale liés à l’inégalité entre classes et entre castes.’’ La femme n’a pas le statut d’être humain, mais celui de symbole ou d’objet. Le viol permet de rappeler à la victime et sa famille sa position dans la société. Selon Gérard Heuzé ‘’ Pour les hommes, le viol est affaire d’honneur collectif avant même de constituer un crime contre les femmes. C’est le statut des hommes qu’il met en cause et c’est pour ce statut que l’on se mobilise. ‘’

Est-il possible de parler de progrès quand des coutumes persécutant les femmes sont encore en usage ? Les meurtres de dot, quand la dot de l’épouse ne suffit pas, subsistent tout comme les meurtres d’honneur, lorsqu’une jeune femme épouse un homme d’une caste inférieure. Le trafic d’êtres humains, dont les femmes et les enfants sont les principales victimes, persiste et ne faiblit pas. Narendra Modi a beau soutenir qu’il agit pour le progrès de son pays, le statut de la femme ne semble pas faire partie de son programme.

Mathilde Giannini Beillon