« On ne sait pas ce qu’on doit croire » : suivre l’attaque de son pays avec les réseaux sociaux

Viktoriia, étudiante en France, est rivée à son téléphone. Minute après minute elle recoupe, croise, traduit les informations dont elle dispose.

Viktoriia sur Telegram. À toute heure de la journée, elle s’informe : « même en cours ». © 2022 – Tous droits dans le mur.

La jeune femme a quitté son pays il y a 4 ans avec sa mère et son petit frère. Son père, sa grand-mère, ses meilleures amies, tous ses proches sont encore en Ukraine. Alarmée par la situation, elle s’est réveillée « paniquée » jeudi 24 février à l’annonce des premières frappes russes. Immédiatement, elle rentre dans des groupes Telegram, cherche des informations sur Twitter et essaie de contacter ses connaissances en Ukraine, mais les réseaux sont perturbés.

« Mes amis et Telegram sont mes premières sources d’info »

La question de quels médias suivre, démêler le vrai du faux, Viktoriia se l’ai évidemment posée. Touchée au plus profond d’elle par l’invasion russe, elle compte suivre l’évolution du conflit quasi instantanément. Elle essaie avec sa mère de regrouper toutes les informations dont elle dispose : « Mes amis et Telegram sont mes premières sources d’information », confie la ressortissante ukrainienne. Ses contacts au pays témoignent directement de ce qu’ils voient et elle filtre les informations des groupes Telegram. Elle précise que ces groupes font régulièrement des correctifs lorsqu’une information était en réalité « fake ». Forte de sa culture ukrainienne et de ses connaissances sur place, Viktoriia affirme ou infirme certaines informations directement. Elle se rappelle avec sourire : « Il y a aussi un blogueur opposant russe qui me permet de m’informer, mais ça, c’est plus humoristique ».

« On s’informe comme on peut… mais c’est vrai que vérifier chaque vidéo, chaque image, c’est impossible », confirme l’étudiante. Malgré sa prudence, elle est obligée de faire simplement « confiance à ce qu’ils [les responsables de groupes Telegram] postent ». De temps à autre, la jeune femme va voir les médias traditionnels suisses, français ou états-uniens par curiosité pour « voir si elle ne trouve pas quelque chose ». Certains militaires tiennent au courant la population de manière régulière. Un lien de confiance se crée et ces derniers deviennent presque des « influenceurs » : leur notoriété est grande — près de 200 000 utilisateurs selon les groupes — et la confiance des communautés en ligne forte.

« J’ai des amis un peu partout en Ukraine, ça fait super mal de voir leurs messages. Ils ont peur et ne savent pas quoi faire » explique dans une série de messages Viktoriia. Elle tente de ne pas perdre le lien avec sa famille : « Mon père est militaire. Pendant les premiers jours, nous n’avions aucune nouvelle. Ma mère et moi avions très peur, mais depuis quelques jours il m’envoie un message par jour ».

Une désinformation dans les deux camps

En parallèle du champ de bataille, la Russie a lancé une offensive moins spectaculaire, mais tout aussi dangereuse : la manipulation de l’information. Objectif : justifier l’attaque menée par le Kremlin à coup d’infox, vidéos sorties hors de leur contexte ou parfois mises en scènes. Viktoriia n’est pas dupe et regrette la crédulité de certains Russes : « il y a quand même des Russes qui croient que leur armée est ici pour libérer l’Ukraine des nazis ! » Le député états-unien Adam Schiff, membre de la commission dédiée au renseignement réclame auprès de Politico un renforcement des efforts des plateformes « pour détecter les mensonges russes et empêcher leurs services d’être exploités ». Ces dernières déjà sous le joug des mesures européennes — les chaînes RT et Sputnik ont été bannies de l’Union européenne le 27 février dernier — se sont organisées pour empêcher la propagande russe d’atteindre l’Europe. Facebook a fermé des faux comptes, Twitter réduit la visibilité des médias russes en plus d’ajouter une mention de prévention, TikTok déclare « allouer des ressources dédiées à la situation » et enfin Google a supprimé toute possibilité de revenu via ses plateformes pour les médias financés par le Kremlin.

La désinformation sévit aussi côté ukrainien jusqu’à parfois tromper le président ukrainien Volodymyr Zelenski lui-même. Treize soldats ukrainiens, gardiens de l’île des Serpents en mer Noire, ont reçu à titre posthume « le titre de héros de l’Ukraine » pour avoir refusé de se rendre auprès d’un navire russe menaçant de les bombarder. Quelques jours plus tard, la Marine ukrainienne a indiqué sur sa page Facebook que les hommes étaient en réalité vivant et détenus en captivité par l’armée russe comme « prisonniers de guerre ». Une erreur dans le cas de l’île aux serpents mais l’armée ukrainienne a aussi relayé de fausses information : une vidéo tirée d’une simulation de jeu vidéo était censée montrer le fantôme de Kiev – un pilote de l’armée ukrainienne qui aurait abattu de nombreux appareils russes. Partagée comme véritable, la vidéo originale, postée sur YouTube, a rapidement été retrouvée par l’agence Associated Press. Dans la description de la vidéo, l’auteur explique sa démarche comme « un hommage au fantôme de Kiev. S’il existe que Dieu le garde ». Viktoriia reconnaît qu’il s’agit « peut-être un d’un fake » mais elle préfère souligner que le fantôme de Kiev « donne beaucoup d’espoir à de nombreuses personnes ».

Victor Letisse – – Pillon