L’industrie du cinéma ne parvient pas à sortir de la crise

Réunis à l’Institut du monde arabe le 6 octobre dernier, les professionnels du cinéma indépendant tirent la sonnette d’alarme sur une situation préoccupante

Photo de Tima Miroshnichenko sur Pexels.com

Après avoir connu des chiffres très satisfaisants en 2021, le cinéma fait face à une crise majeure. En France, ce mois de septembre est le pire jamais enregistré depuis la création des statistiques mensuelles par le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) en 1980. Avec seulement 7,38 millions d’entrées, les salles obscures déplorent un score inférieur de 33 % à la moyenne des mois de septembre de 2017 à 2019. Cette rentrée cinématographique est décevante pour les professionnels du secteur, qui espéraient se donner un nouvel élan, après un été tout aussi problématique. Elle met en évidence une année compliquée pour l’économie du cinéma, qui ne cumule que 105 millions d’entrées depuis le 1er janvier, contre 30 % de plus en 2019, à la même période de l’année.

30 % des spectateurs toujours absents

Le ralentissement de la pandémie de Covid-19 en 2021 a permis un retour progressif des spectateurs. Un engouement qui ne se confirme pas pour l’instant, surtout pour une catégorie de la population : les retraités. C’est le cas de Marie-Noëlle, 79 ans, qui donne son point de vue à la sortie de sa séance de cinéma : « Je suis une grande cinéphile. Avant la pandémie, je venais entre deux et cinq fois par semaine au cinéma. Aujourd’hui encore, j’ai peur d’attraper le Covid, étant donné que je suis une personne très à risque. Je ne suis pas la seule car mes autres copines font comme moi : elles ne viennent qu’une fois de temps en temps quand le film est vraiment intéressant ». Une absence des personnes âgées confirmée par les statistiques. Elles représentaient 50 % des spectateurs avant la crise sanitaire, contre seulement 37 % aujourd’hui.

Selon plusieurs études menées, il manque près de 30 % des sectateurs en salles pour faire sortir le cinéma de la crise. Si les retraités désertent, c’est également le cas des jeunes : un sur dix n’est pas retourné voir un film depuis la pandémie. Une réalité que constate Gabin, étudiant de 21 ans : « Je vais assez souvent au cinéma, mais je me retrouve tout le temps au milieu de spectateurs plus âgés. Je pense que le prix de la place y est pour beaucoup. Les étudiants n’ont pas les moyens de mettre de 7 à 10 euros dans une séance ». Le prix d’un film est parfois équivalent à un abonnement mensuel sur une plateforme de streaming, le concurrent principal du cinéma. Avec un accès à des dizaines voire des centaines de longs-métrages, les jeunes privilégient les contenus digitaux. L’explosion des abonnements sur Netflix, Amazon Prime ou encore Mycanal confirme cette dynamique.

« Si vous baissez le prix de places, on n’aura plus la possibilité d’investir »

Le montant de la place est souvent épinglé pour justifier l’absence de spectateurs, surtout dans un contexte inflationniste. Il faut débourser en moyenne 7,04 euros pour accéder à une salle obscure, un chiffre en constante augmentation depuis 2017. Pourtant, une baisse des tarifs du cinéma n’est pas envisagée par les professionnels du secteur. Selon Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), ce loisir n’est pas plus onéreux que d’autres activités culturelles : « Trouvez-moi une place de théâtre à moins de 7 euros. Allez à l’opéra pour moins de 7 euros. Si vous baissez le prix des places, on n’aura plus la possibilité d’investir ».

Baisser le montant serait un manque à gagner important pour les productions cinématographiques, puisque 10 % du prix du ticket permet de financer les prochains films. Pour redynamiser cette industrie, Jérôme Seydoux, co-président du groupe Pathé, souhaite miser sur une amélioration de la qualité des longs-métrages : « Les spectateurs n’ont pas envie d’aller au cinéma pour se faire chier ». Une critique qu’il adresse spécifiquement aux films d’auteurs français, estimant qu’ils tirent vers le bas les autres productions. Si cette branche cinématographique est globalement en difficulté, elle est à l’origine de grands succès français actuellement. C’est le cas de Revoir Paris d’Alice Winocour, qui cumule plus de 500 000 entrées en un mois, ou de Bac Nord, la révélation de 2021 avec plus de 2 millions d’entrées. Malgré ces chiffres, la volonté de Jérôme Seydoux est de produire moins, mais de produire mieux, quitte à augmenter le prix des places.  

Une division interne

Pour s’accorder sur la marche à suivre afin de rebooster le cinéma, de nombreux professionnels veulent mettre en place des États Généraux, avec des représentants politiques. L’objectif est de faire consensus sur les solutions à apporter, alors que chacun y va de sa proposition.

Certains comme l’acteur Vincent Lindon, remettent en cause le trop grand nombre de films à l’affiche : « Il y a moins de pépites, et elles sont plus difficiles à trouver puisque, tous les mercredis, il y a entre 8 et 13 films qui sortent. Il n’y a que sept jours dans la semaine. […]. C’est trop de choses, trop de propositions ». Cette volonté de réduction de l’offre cinématographique ne fait pas l’unanimité. « Cela conduirait à une uniformisation qui aurait des conséquences désastreuses sur le rapport des spectateurs et du cinéma », s’inquiète l’actrice Virginie Efira, qui redoute également le poids grandissant du streaming.

Si certains craignent la concurrence des plateformes en ligne, d’autres tentent de négocier avec elles. C’est le cas pour le film « À couteaux tirés 2 » avec Daniel Craig. Le long-métrage sortira d’abord en salles pour une semaine, avant de rejoindre le catalogue de Netflix un mois plus tard : une première. Preuve que les cinémas sont prêts à trouver des solutions concrètes pour sauver un secteur qui s’enlise dans la crise.

Killian Chapus