
Étiquettes
Il était une fois le Joola, le Titanic sénégalais
En septembre 2002, un ferry sénégalais chavire lors d’une tempête au large des côtes gambiennes et fait plus de 1800 morts.

Un coup de fil, une phrase, ont suffi pour chambouler toute une vie. Aminata Ndiaye, enseignante, se souvient encore de l’appel qu’elle a reçu lors de cette soirée du 26 septembre 2002. Un appel lui annonçant le naufrage du bateau dans lequel se trouvait sa sœur et ses neveux : “ Ma grande sœur résidait aux USA. Elle était venue en vacances avec son mari et ses deux enfants. Partis visiter la Casamance, ils ne sont jamais revenus. Ils ont disparu dans le naufrage.”
Il y a 20 ans, le Sénégal enregistrait un drame qui marquera à jamais son histoire. Étudiants, commerçants, touristes et des joueurs de football ont péri le 26 septembre 2002 dans le naufrage du bateau Le Joola au large des côtes gambiennes. Le bilan officiel indique 1863 morts, mais les associations des victimes en décomptent plus de 2000. C’est l’une des catastrophes maritimes civiles les plus mortelles en temps de paix.
Le drame inévitable
Le Joola est un bateau fabriqué en Allemagne et livré pour la première fois au gouvernement sénégalais en 1990. Le ferry long de 76,5 mètres et large de 12,5 mètres naviguait régulièrement entre un port du sud du Sénégal, Ziguinchor et la capitale au nord, Dakar. Il a été conçu pour transporter au maximum 536 personnes. Le jour du chavirement, le registre de bord indique 809 billets vendus. Un chiffre auquel vient s’ajouter les enfants de moins de cinq ans, les militaires et leurs familles pour qui le trajet est gratuit. Au total, le bateau, dont la dernière visite technique date de 1991, accueille ce jour-là plus de 1928 individus. Soit trois fois plus sa jauge maximale.
Il est 16 h 30 lorsque le Joola quitte Karabane, la dernière escale avant l’arrivée à Dakar. Le ferry sombrera dans l’Atlantique quelques heures plus tard. Il se renverse en quelques minutes à 23:00. Les vagues de la mer agitée par un violent orage engloutissant les passagers les uns après les autres. Seule une vingtaine d’entre eux ont réussi à grimper sur la coque et y sont restés pendant des heures. Les secours n’arrivent que 18 heures après le drame. “De nombreuses personnes ayant survécu au chavirement initial du bateau se sont ensuite noyées parce qu’elles sont restées coincées dans la cale du navire. Une opération de sauvetage sérieuse n’a commencé que sept heures après les premiers signes de détresse.” Confie le journaliste Wally Ndiaye. Dans ces circonstances, seuls 64 passagers survivent à la catastrophe et 608 corps sont repêchés.
Une plaie béante
“C’était dramatique. Le Sénégal n’a jamais enregistré une telle perte de vie.” Adama Diouf, professeur au Lycée Maurice Delafosse à l’époque, se souvient encore de cet événement douloureux pour tous les Sénégalais. Avarie des moteurs, mauvais temps ou surcharge, les causes précises de la catastrophe n’ont jamais été officiellement élucidées. Le bilan est lourd. Des citoyens de 12 pays ont disparu, mais la majorité venaient de la Casamance, une région au sud du Sénégal. Toutes les couches de la société sénégalaises étaient représentées dans ce bateau. Parmi les victimes, on décompte 444 enfants et 450 étudiants. Sur les 700 femmes et jeunes filles à bord, une seule a survécu.
La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe au Sénégal. Les souvenirs du drame restent vifs dans les mémoires. Certains comme Dialma Sakho s’en rappellent encore : “C’était pendant l’hivernage. Il y avait un grand vent. Il y a même eu un naufrage de pirogue à côté de mon village au large de la Gambie. Cela avait fait sept morts. Le fils du voisin était dans le Joola. Le drame a été annoncé dans toutes les mosquées du village”, explique la commerçante, habitante à Niodior dans les îles du Saloum
Justice pour les victimes
Suite au naufrage, beaucoup de ministres ont démissionné, mais ont réintégré plus tard le gouvernement. En août 2003, il est annoncé qu’aucune poursuite pénale ne serait engagée. La responsabilité a été attribuée au capitaine Issa Diarra, qui aurait disparu lors de l’accident. En France, malgré une expertise alarmante sur l’état du bateau, la longue procédure judiciaire s’est soldée par un non-lieu en 2018. Deux décennies après son naufrage, la coque renversée du Joola est toujours visible au large des côtes gambiennes.
Les ossements d’un millier de victimes gisent toujours dans l’océan. Les survivants et les familles des victimes se battent toujours pour faire remonter le bateau. Parmi eux, Madeleine Diédhiou. Aujourd’hui étudiante à l’université de Ziguinchor, elle a perdu son père à l’âge de cinq ans dans le naufrage. Pour elle, le renflouement leur permettrait de faire leur deuil : “Moi, je vois le bateau comme le cercueil collectif de nos parents. Un cercueil qui est là, laissé au fond de l’océan. Nos parents méritent beaucoup plus de respect. On doit leur rendre leur dignité d’être humain.”
En 2005, l’Union européenne avait accordé au Sénégal les fonds nécessaires pour renflouer l’épave, qui gît à une vingtaine de mètres de profondeur au large des côtes gambiennes, mais le gouvernement a refusé.
Marie Claire Diouf