Egalité homme-femme, un scénario de science-fiction ?

Les Utopiales étaient de retour à Nantes. L’occasion pour les autrices et écrivaines de faire entendre leurs voix et celles des autres femmes dans un milieu où ces dernières sont encore marginalisées.

Affiche des Utopiales 2022 par Marc-Antoine Mathieu

Affiche des Utopiales 2022 par Marc-Antoine Mathieu

Du 29 au 1er novembre, se tenait à Nantes la 22e édition des Utopiales, le plus grand rassemblement de France autour de la science-fiction. Le thème était « Limites », et les femmes ont l’habitude de se confronter à ces dernières ou plutôt à des murs voire des plafonds de verres.

Cette année, outre la science, l’écologie ou la santé, la question des droits des minorités et des femmes semble avoir dominé les débats des Utopiales. Effet de tendance ? Pas tout à fait. Les derniers événements aux États-Unis montrent que « les droits des femmes sont toujours en danger. Soyez donc sur le qui-vive (…) » pour reprendre les mots de Gisèle Halimi. À en voir la foule qui s’agglutine pour assister à des conférences comme « Alien, féministe ? », « Aire des femmes » ou encore « Roe VS Wade », la représentation et les droits des femmes préoccupent.

Il a fallu du temps pour que le cliché de Barbarella, la femme objet au service des hommes, s’estompe dans les livres de SF (Science-Fiction). Lorsque Jeanna A. Debat, autrice et directrice artistique des Utopiales, a commencé à lire de la SF, elle remarqua que « les personnages féminins sont souvent des cruches à qui le héros principal explique les choses. Un mécanisme bien pratique pour l’auteur que d’expliquer certains aspects au lecteur qui, pourtant, est supposé ou considéré être un homme et non une cruche ».  Encore un autre grand cliché, la SF serait un genre uniquement écrit par et pour des hommes.

De son côté, Catherine Dufour, autrice de SF et ingénieure informatique, a fait l’état des lieux. Dans beaucoup de livres « les femmes ne marchent jamais, elles titubent, tombent ou elles rampent. Elles ne parlent pas, mais murmurent, chuchotent, elles sanglotent aussi  ou alors, elles poussent des petits cris. » Avec l’émergence des révolutions et mouvements de libération féministe, des autrices ont émergé, bâtissant un nouveau pan de la SF. Un véritable bouleversement se produit, celui des genres, comme La main gauche dans la nuit d’Ursula K. Le Guin, en imaginant d’autres équilibres sociaux, en fracassant le mythe du héros testostéroné qui dézingue des aliens à coup de sabre laser.

« Dès qu’il y a une once de féminisme, c’est déjà radical pour certains »

S’il y a eu des progrès, rien n’est acquis. Les femmes autrices sont présentes, mais en minorités. « Dès qu’il y a une avancée, il y a une opposition. C’est exactement ce à quoi nous assistons en ce moment. Il y a une montée des masculinistes. Dès qu’il y a une once de féminisme, c’est déjà radical pour certains » s’insurge Jeanne A. Debat. À titre d’exemple, la scénariste de BD Valérie Mangin explique, lors d’une conférence, qu’en 2010, l’édition Dupuis avait créé une collection, « Sorcières », pour promouvoir de jeunes autrices de BD. Elle y avait publié avec Jeanne Puchol un album sur une Jeanne d’Arc sorcière, attirée par les femmes, refusant un destin d’épouse et de mère. Seulement voilà, cette BD n’a pas plu à un membre très catholique du conseil d’administration. Dupuis a annulé le tome 2, la collection a été arrêtée. « On sait que les auteurs hommes sont davantage pris au sérieux. En SF ou fantasy les textes des femmes sont la plupart du temps vus comme de la ‘Jeunesse’, au lieu d’être classés en ‘adulte’ », ajoute Betty Piccioli. Les organisateurs essaient d’atteindre la parité, mais seulement 37 % des invités aux Utopiales sont des femmes. Toutes disciplines confondues, les autrices ne sont tout simplement pas assez nombreuses.

Le fondateur de la science-fiction est une femme !

Jo Walton, romancière de SF, indique que « lorsqu’on étudie en détail la littérature, on s’aperçoit qu’il y a eu des femmes écrivains, mais qu’elles sont effacées de l’histoire littéraire par les époques ultérieures ». C’est le sort auquel Mary Shelley, autrice de Frankenstein ou le Prométhée moderne et mère de la science-fiction, a échappé de justesse. Si son livre a d’abord été publié anonymement, il a très vite été attribué à son mari Percy Bysshe Shelley, célèbre poète romantique. Mary a finalement été reconnue comme autrice de l’œuvre. Immense paradoxe que de voir des hommes monopoliser la science-fiction si longtemps alors que la première autrice de ce genre était une femme profondément féministe. Outre le message qui alerte sur les dangers des désirs démiurgiques de l’homme, Mary Shelley dénonce dans son ouvrage l’emprise des hommes sur les femmes, causant la mort de ces dernières. L’œuvre de Frankenstein est finalement une autobiographie. Une femme qui s’est forgé d’elle-même, une éducation regroupant non pas plusieurs morceaux de corps comme la bête du livre, mais plusieurs courants de pensée au fil de ses relations. Ce ne fut pas sans dommages. D’abord sa mère, Mary Wollstonecraft pionnière du féminisme et une sympathisante révolutionnaire, son père William Godwin, abolisseur de mariage et enfin la rencontre de Percy, athéiste et libertaire. La créature, c’est elle. Celle qui doit à la fois assumer sa liberté et la souffrance qu’elle inflige aux autres du seul fait d’avoir voulu librement aimer.

Etats-Unis, une théocratie ?

Nouvelles interrogations sur le droit des femmes avec la table ronde « Roe vs Wade ». Les États-Unis semblent être au stade précurseur du livre dystopique de Margaret Atwood The Handmaid’s Tale.  « Rien ne change instantanément : dans une baignoire qui se réchauffe progressivement, vous seriez bouilli à mort avant de vous en rendre compte », chap.10. Dans cet ouvrage, le pays est dirigé par une théocratie dans laquelle les femmes ne sont que matrices juste bonne à procréer. Elles ont perdu toute humanité, elles ne contrôlent plus leur fécondité, mais leur fécondité les contrôle. Elles ne sont plus que la propriété de ’’commandants’’. Pour protéger les femmes à l’avenir, les intervenants du débat s’accordent à dire qu’il faut développer la contraception masculine et l’éducation sexuelle, montrer l’incohérence des paroles religieuses sur le sujet ainsi que de lutter contre le patriarcat. Avant d’y parvenir, le chemin s’annonce difficile…

Mathilde Giannini Beillon