décembre 06

Harcèlement scolaire : des victimes invisibilisées

La journée nationale de lutte contre le harcèlement qui s’est déroulée le 10 novembre a remis au cœur des débats et des préoccupations, un sujet omniprésent et pourtant trop souvent minimisé : le harcèlement scolaire. 

Crédit : Getty Images

« C’était une tentative d’assassinat », témoigne Ines, victime de harcèlement au collège. Elle avait 13 ans, quand, le 23 septembre 2014, les personnes qui la harcelaient depuis déjà des mois, se regroupent autour d’elle avec deux bidons d’essence. Elles lui renversent alors un bidon entier à la sortie de l’école et la menacent avec un briquet allumé de la brûler vive. Et pourtant, malgré la gravité des faits, « l’Éducation Nationale n’a pas réussi à gérer l’affaire et le Rectorat n’a rien fait non plus », déplore la victime, 8 ans après l’agression. Après le refus de la hiérarchie pour un changement de collège, Ines a dû s’y rendre pendant un mois et demi, accompagnée chaque jour d’un garde du corps. Le harcèlement n’a jamais cessé, « ça a été à moi de m’adapter ».

Le harcèlement relève de l’ensemble des violences qui peuvent être commises par une ou plusieurs personnes. Il se manifeste notamment par l’effet de groupe, le fait d’isoler une personne, la répétition de l’humiliation, le fait de dénigrer une personne et également la violence en tant que telle. Il y a le harcèlement physique, psychologique, sexuel, le racket et le cyberharcèlement. 

L’histoire d’Ines n’est pas un cas isolé, il en existe des dizaines de milliers. Et pourtant, elle fait partie d’une très mince partie des jeunes victimes de harcèlement scolaire qui osent parler de leur situation.

1 million de victimes chaque année en France

Ils ont aujourd’hui 18, 19 ou 23 ans et ont accepté, pour la première fois de leur vie, de se confier sur un de leur plus grand traumatisme : le harcèlement scolaire. Ils racontent tous la difficulté d’en parler qui les a entravés pendant des années : « Je pensais mériter ça. » « C’était « pas assez violent » pour que je puisse oser en parler ». « Ça aurait été la pire humiliation de ma vie de dire à mes parents que j’étais « maltraitée ». « S’il t’embête, c’est qu’il est amoureux de toi ». « Je m’efforçais de ne pas montrer mes larmes ». La honte, la culpabilité, la peur d’être jugé sont des éléments qui contribuent à étouffer la parole des victimes. 

Une psychologue qui a souhaité rester anonyme déplore que « culturellement, on a l’image que le harcèlement c’est forcément quelque chose de grave alors que ça peut partir de petites actions qui ont d’énormes conséquences ». Il y a de nombreuses actions qui sont minimisées de la part de ceux qui subissent le harcèlement, mais aussi de ceux qui l’alimentent. En France, près d’un enfant sur 10 est harcelé chaque année à l’école. Si l’on compte environ 12 millions d’enfants scolarisés, cela fait 1 million de victimes.

Un fléau qui, avant les réseaux sociaux, s’arrêtait à la cour de récré. Maintenant, il ne connaît plus aucune frontière et devient omniprésent avec le cyberharcèlement. « Il n’existe pas, à ma connaissance, de prévention efficace de nos jours. S’y intéresser au collège est bien trop tard », regrette la psychothérapeute. Le harcèlement s’accompagne souvent d’une dépression lente entraînant la chute des résultats scolaires, mais aussi d’une anxiété sociale qui peut impacter la victime pendant des dizaines d’années.

« Il y a un déni très fort »

Depuis février 2022, une loi a été votée obligeant notamment des soins pour les victimes mais aussi pour les harceleurs. Il est difficile d‘expliquer à des collégiens ce qu’est le harcèlement, « l’empathie et le respect de l’autre ne se transmettent pas à travers un cours ». Il est très rare que des parents viennent consulter car leur enfant a été harceleur, « il y a un déni très fort ». Pourtant, la prise en charge des « intimidateurs » devrait être une priorité. S’il n’y a pas eu de réelle prise de conscience et de compréhension de l’enfant vis à vis des actes commis à l’égard d’un camarade, « ces comportements violents pourront se produire à l’avenir, dans le milieu professionnel ou conjugal ».

Des lanceurs d’alerte au collège

« Pourquoi moi? Pourquoi ça m’arrive à moi? Pourquoi on me rejette? Pourquoi on me frappe ? Qu’est ce qu’il y a après le harcèlement? », tant de questions qui reflètent la détresse des victimes du harcèlement scolaire. Ce sont ces questionnements qui reviennent le plus chez les enfants qui demandent de l’aide à des associations comme celle présidée par Élian Poirier, 20 ans, « Urgent Harcèlement ». 

L’objectif des sensibilisations de ces associations, c’est principalement que des enfants puissent se reconnaître dans de potentiels comportements de harceleurs. De cette manière, dès leur plus jeune âge, ils peuvent prendre conscience malgré leur innocence de ce qu’est réellement le harcèlement. Pour libérer la parole, « il faut aller à leur rencontre et leur faire comprendre qu’ils sont écoutés et en sécurité », explique Élian. Le rapport aux élèves est relativement plus simple lorsque c’est un jeune qui en parle. Certains enseignants peuvent avoir du mal à déceler une situation de harcèlement, « on a cette chance de pouvoir faire résonner leur parole ».

Sur un échantillon réalisé auprès de 100 personnes, tous âges confondus, 66 % disent avoir été victimes de harcèlement au cours de leur scolarité et 84 % estiment en avoir été témoins, en particulier au collège. Des témoins qui n’en ont pas parlé, « par peur, car la victime ne voulait pas ». Ils peuvent dorénavant agir en lanceurs d’alertes. Aujourd’hui, 22 900 ambassadeurs collégiens sont comptés, contre 10 000 en 2020. Ces élèves sont formés au repérage des situations de harcèlement et capables d’agir pour ne pas laisser les victimes isolées. Depuis mars 2022, le harcèlement scolaire est un délit pénal punissable de 10 ans d’emprisonnement et 150 000 € d’amende lorsque les faits ont conduit la victime à se suicider ou à tenter de se suicider.

Laura Hue