Le cannibalisme au menu des films et des séries

Cette année, nombre de séries et films d’horreurs ont pour protagonistes des personnages amateurs de chair humaine. Un tabou universel qui trouve son public.

De la comédie romantique qui vire au cauchemar aux feux de camps, le cannibalisme se réinvente. Crédit image /Fresh

Simple coïncidence ? Soylent Green, le film de science-fiction dystopique de 1973, où les cadavres sont recyclés pour faire des galettes nutritives, est censé se dérouler 50 ans plus tard, en 2022 : une année qui a explosé en contenu cinématographique cannibale. Au cours des 12 derniers mois, le grand écran a présenté des cannibales milliardaires mangeant des morceaux de viande humaine emballés sous vide dans Fresh, des adolescents marginaux en cavale trouvant un sens à leur vie à travers l’amour et les entrailles dans Bones and All. La télévision a captivé les téléspectateurs avec Yellowjackets, les lycéennes dans une équipe de football qui survivent comme elles peuvent et tentent de se rassurer avec des rites païens. Enfin, la série Monster : The Jeffrey Dahmer Story, l’horreur alliée maladroitement au romanesque, qui a su largement choquer et passionner ses spectateurs.


Le cannibalisme n’a rien de nouveau dans le cinéma. Il y a eu une première vague de films sur l’anthropophagie. Plusieurs films italiens, à la fin des années 70 et dans les années 80, présentaient invariablement le cannibale comme faisant partie d’une tribu lointaine. Avec des budgets réduits et ne lésinant pas sur l’hémoglobine, ces films étaient dégénérés et assumés comme tels. Le mot cannibale figurait systématiquement dans le titre et les réactions horrifiées des spectateurs étaient perçues comme un gage de qualité et une source de fierté.

Le Dernier Monde Cannibale (1977) de Ruggero Deodato, a été saisi et confisqué au Royaume-Uni en vertu de l’Obscene Publications Act. Cannibal Ferox (1981) d’Umberto Lenzi, a été diffusé avec un encart avertissant les spectateurs de « tortures barbares et des sujets répugnants« , et a donné lieu à une campagne de marketing se glorifiant d’avoir été interdit dans 31 pays. Cannibal Holocaust, autre création de Deodato, a atteint un degré supérieur dans l’horreur. Il s’agit de l’histoire d’un anthropologue américain qui retrouve les images laissées par une équipe de journalistes portés disparus dans la jungle amazonienne. En jouant la carte du vrai-faux documentaire, ou « found footage », le réalisateur italien décuple l’impact de ses séquences horrifiques, tournées caméra à l’épaule, façon cinéma vérité. Et le spectateur découvre les atroces sévices subis par les journalistes disparus. Ce réalisme saisissant lui a valu d’être poursuivi pour meurtre et d’être finalement contraint de convoquer ses acteurs devant le tribunal pour prouver qu’ils étaient toujours en vie.  

Une monstruosité raisonnée

Dans les années 90, l’anthropophagie sur grand écran prend une tout autre tournure. Des personnages plus profonds qui ne sont pas simplement animés par la soif de chair humaine, mais qui font preuve de raisonnement et de sensibilité. Dans Alive, il s’agit d’un récit tiré de faits réels dans lequel les joueurs d’une équipe de rugby commencent à manger les cadavres de leurs coéquipiers et des autres passagers après le crash de leur avion dans les Andes. Hannibal Lecter, dans Le Silence des Agneaux, est un intellectuel amateur d’art et de vin, devenu le cannibale le plus célèbre du cinéma. Depuis, des personnages de plus en plus complexes, doués de sentiments et d’une conscience caractérisent cette nouvelle vague de films d’horreur.

Cannibalisme et féminisme

Alors que les femmes scénaristes et réalisatrices insufflent une nouvelle vie aux clichés cannibales éculés, elles apportent un regard plus intimiste sur les mangeurs d’hommes. Dans Grave (2016) de Julia Ducournau, le féminisme se lie à l’abomination. Le goût du sang semble être le déclencheur qui permet à Justine, la protagoniste, de rejeter les conventions sociales en tant que femme et d’assumer sa véritable personnalité. Le film Fresh, sorti cette année, réalisé par Mimi Cave, commence comme une comédie romantique : l’homme idéal rencontré au rayon fruits et légumes. Tout est trop parfait pour être réaliste. Et pour cause, alors que Noa, jouée par Daisy Edgar-Jones, tombe sous le charme du sournois Steve, interprété par Sebastian Stan, elle découvre qu’elle n’est littéralement rien de plus qu’un morceau de viande pour lui. La série Yellowjackets explore la sororité poussée à son paroxysme, permettant aux femmes de commettre les actes les plus atroces pour survivre. Ces films transgressent l’image de la femme objet et victime des films d’horreur classiques pour en faire des anti-héroïnes puissantes.

Métaphore de la puberté ?

Récemment, le cannibalisme a commencé à apparaître dans les films sur le passage à l’âge adulte. Cette combinaison n’avait encore jamais été explorée et pourtant, cela fait sens. L’adolescence étant une période de débordements violents et de pulsions charnelles déroutantes, l’association de ces deux thèmes en fait un mélange explosif. Bones and All, de Luca Guadagnino, sorti il y a un mois, plonge le spectateur dans une romance cannibale dans l’Amérique du milieu des années 1980. Le film utilise le cannibalisme pour explorer le caractère dévorant de l’amour romantique, les non-dits et les  dans le cercle familial, la recherche de soi et le besoin de se nourrir dans un monde de privations et de négligence.

Après être passé du statut de méchant à celui d’antihéros, le cannibale semble être devenu un personnage dramatique populaire reflétant le mal-être de la société actuelle.

Mathilde Giannini Beillon