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Après le Covid-19, une « épidémie de flemme » entretenue par le marché

La crise sanitaire a profondément modifié nos modes de vivre, de consommer et de travailler. Selon une enquête menée par la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec l’Ifop, une « épidémie de flemme » a contaminé nos quotidiens. Une épidémie accompagnée et prise en charge par le marché économique.

La campagne publicitaire d’octobre dernier de la plateforme Heetch, joue sur la flemme des consommateurs pour les séduire. Signe qu’elle est désormais un atout commercial.

Tout comme le Covid-19, la “flemme” est contagieuse ! Une enquête d’opinion menée par la Fondation Jean Jaurès en partenariat avec l’institut de sondage, l’Ifop, relève qu’une « épidémie de flemme » touche notre pays et ses habitants. Un phénomène renforcé par le marché économique, qui a ainsi adapté son offre.

Il est connu qu’en cas d’infection au Covid-19, des symptômes prolongés peuvent nuire à la santé d’une personne. C’est ce que l’on appelle le Covid long. Au-delà de cette considération médicale, la période de pandémie a affecté la société en général. Les confinements successifs ont provoqué un changement dans les comportements des individus, et notamment dans leurs habitudes de consommation. Désormais, la flemme conditionne plus que jamais nos façons de vivre, selon l’étude.

Cette « épidémie de flemme » résulterait d’une perte de motivation constatée chez de nombreux Français depuis le début de la pandémie. 45% des plus de 18 ans sondés dans le cadre de l’enquête, déclarent avoir la flemme de sortir de chez eux. Une flemme qui touche plus les tranches d’âge intermédiaires : 52% parmi les 25-34 ans et 53% auprès des 35-49 ans, contre 33% chez les plus de soixante-cinq ans.

L’appel puissant du canapé !

Une apathie qui bride le quotidien de certains. Salles de cinéma qui peinent à se remplir, boîtes de nuit vides, baisse du nombre de bénévoles dans les associations. L’enquête donne une multitude d’indicateurs révélateurs de cette baisse de motivation au sein de la société française. Le bilan négatif du marché cinématographique depuis le début de la pandémie, étaye cette flemme généralisée selon l’étude.

D’après les chiffres CNC, le nombre de tickets vendus en septembre dernier a baissé de 34% par rapport à septembre 2019. Si l’industrie du cinéma, déjà en difficulté avant la pandémie, insiste sur la hausse des prix pour expliquer cette baisse de fréquentation des salles obscures, l’étude pointe « l’effet flemme » du Covid-19.

Au grand dam du septième art, le marché économique entretient cette « épidémie de flemme ». Concurrencé par l’arrivée de nouveaux produits comme les vidéoprojecteurs dont les ventes croissent, mais surtout par celle des plateformes de streaming telles que Netflix. Selon l’étude, ces plateformes alimentent « la propension des individus à adopter l’art de la flemme ». Une étude récente de l’Ifop montrait que Netflix, Amazon, Prime Video ou encore Disney + avaient une incidence sur la fréquentation des salles de cinéma.

Outre Netflix et consorts, toutes les activités se pratiquant chez soi confortent cet « art de la flemme ». L’industrie du jeu vidéo rend aussi, l’appel du canapé si fort, notamment pour les plus jeunes. Avec 2,4 millions de consoles et près de 1 million de PC Gaming vendus en 2021, l’industrie ne cesse de progresser. Selon Julie Chalmette, présidente du Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs, « les Français n’ont jamais autant joué. Ils sont 73% à jouer occasionnellement et 58% régulièrement, soit une progression de 6 points par rapport à 2020 ». Des chiffres qui montrent non seulement que les Français jouent plus aux jeux vidéo mais également qu’ils sont plus souvent chez eux.

Le verbe « Chiller » dans le dictionnaire ?

Un « marché de la flemme » s’est donc structuré et développé durant la crise sanitaire. En témoignent la pérennité des plateformes comme Deliveroo, Uber Eats ou Amazon tout au long de la pandémie et encore aujourd’hui. Dans une enquête de l’Ifop de 2021, 52% des Français déclaraient avoir eu recours à la livraison de repas à domicile au moins une fois dans l’année, dont 23% au moins une fois par mois. Un autre signe que la flemme est en train de s’ancrer dans nos habitudes.

La société est touchée par cette épidémie à tous les niveaux. Le marché s’en accommode avec intention, tant les opportunités de surfer sur cette vague flegmatique sont lucratives pour les entreprises. Certaines entreprises jouent ouvertement sur cette flemme pour promouvoir leur offre. C’est le cas de la plateforme liant utilisateurs et VTC, Heetch, avec sa campagne publicitaire au slogan explicite : « Vous avez la flemme ? On a le VTC. ».

La flemme semble donc entrer progressivement dans les mœurs de la société française. Une ironie pour un état longtemps connoté péjorativement dans la sphère publique. Il s’inscrit même au plus profond de notre identité, le langage. Le Petit Robert a annoncé que le terme « chiller » (de l’anglais « to chill » : prendre du bon temps à ne rien faire) fera son apparition dans son édition 2023.

Rémi Capra-Brocard