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Violences sexistes et sexuelles : le fléau de l’enseignement supérieur
Un vaste rapport d’enquête du défenseur des droits autour des discriminations dans le supérieur vient de paraître. Il dresse un état des lieux préoccupant sur les dérives sexistes et sexuelles dans les établissements
Elles s’appellent Marine, Audrey, Eléa ou Gaëlle. Elles sont étudiantes et elles ont été confrontées à des actes sexistes et sexuels dans le cadre de leur cursus. Elles font partie des quelque 140 000 victimes de ce genre de violence, soit 4 % de la population étudiante. Ce chiffre ne concerne que l’année universitaire 2019-2020. En réalité, l’ampleur du phénomène est bien plus importante.
Pour caractériser ce fléau qui touche l’enseignement supérieur, le défenseur des droits Claire Hédon s’est saisi du dossier et publie une grande enquête. Cette dernière concerne plusieurs universités analysées pendant quatre ans, et les résultats sont sans appel : 20 % des étudiantes et 6,9 % des étudiants ont été confrontés à des comportements sexistes ayant une dimension sexuelle. Six victimes sur dix estiment que les faits étaient « graves ». Le harcèlement sexuel touche 4,3 % des étudiantes, et les propositions sexuelles dérangeantes sous couvert d’humour 13 % d’entre elles. Un constat inquiétant, qui crée un sentiment d’insécurité au sein des établissements universitaires.
3,5 millions d’euros annuels pour lutter
Pour combattre cette tendance, l’État se mobilise. En 2021, un plan national d’action est lancé par le ministère de l’enseignement supérieur. Son objectif est d’éradiquer durablement les violences sexistes et sexuelles, et d’améliorer la prise en charge des victimes. Jusqu’en 2026, il prévoit un dispositif massif de formation et de sensibilisation, auprès des étudiants et des enseignants. Il impose également à chaque établissement public, la mise en place de cellules d’écoute et de recueil de signalement, et un suivi pour dénoncer les faits.
Pour faciliter l’implantation de ces cellules, le ministère souhaite les rendre visibles, à travers des interventions dans les classes. Le dernier axe du plan national d’action repose sur l’engagement des étudiants eux-mêmes, pour les responsabiliser et les encourager à prendre des initiatives concrètes. Reste aux établissements à prendre leurs propres mesures pour répondre aux exigences du ministère. Le département information-communication de l’Université Côte d’Azur par exemple, mise sur une mesure interne : les « référents-égalité ». Élus parmi les étudiants et les professeurs, ils jouent un rôle de prévention et d’accompagnement en cas de violences sexistes ou sexuelles. Une façon de lutter contre le problème, de l’intérieur.
Afin d’augmenter encore ses efforts, l’État a déclaré doubler son budget alloué à la lutte contre ces violences. Il sera de 3,5 millions d’euros par an, au lieu de 1,7 million jusqu’à présent.
« Je n’ai rien fait, il me faisait peur »
Si l’État annonce déployer des moyens dans les établissements, sur le terrain, le constat est tout autre. Plusieurs victimes ou témoins de comportements déplacés acceptent de se livrer, et dénoncent un manque d’accompagnement.
C’est le cas d’Audrey, témoin de propos misogynes tenus par son professeur d’italien dans une université de Montpellier en mai 2022. Elle raconte avoir entendu des blagues explicites adressées à plusieurs étudiantes comme « Est-ce que comme l’huile de l’olive, vous êtes extra-vierge ? » ou des remarques ambiguës comme elle le confie : « Il demandait à une élève qui faisait du baby-sitting, si elle voulait bien le garder aussi ». Des propos loin d’être ponctuels selon elle : « Apparemment, ce n’était pas la première fois que ça arrivait ». Pourtant, face à ce comportement répréhensible du professeur, les étudiants ne se sont pas mobilisés. L’une des principales raisons : la crainte de représailles. Dans le cas d’Audrey, les faits ne sont jamais remontés jusqu’à l’administration : « A part en parler autour de moi, je n’ai rien fait, il me faisait peur », déplore-t-elle. Conséquence, le professeur fait toujours partie de l’équipe enseignante.
« Je ne connaissais pas les mesures d’accompagnement »
La peur est souvent accentuée par un manque d’information sur les démarches à suivre pour dénoncer un comportement anormal. Celle que nous appellerons Manon, dans un souci d’anonymat, s’est retrouvée dans cette situation. Alors qu’elle participe à des travaux pratiques dans le laboratoire de son université, elle assiste à des gestes déplacés de son professeur : « Il se mettait derrière nous pour nous montrer comment manipuler. Il était donc très proche de nous. Pendant qu’il nous parlait, il pouvait nous effleurer les mains ou les épaules, et prendre un ton de voix différent », dénonce-t-elle. Une proximité instaurant un climat de malaise dans la salle de cours. Si Manon souhaite le dénoncer, ses camarades la dissuadent, en dédramatisant la situation. Ce refus de parler est surtout dû à une méconnaissance des procédures pour le faire, comme elle le regrette : « Je ne connaissais pas les mesures d’accompagnement ».
Pour inciter les victimes à dénoncer les agresseurs, les établissements misent sur la prévention et la mise en avant des cellules d’écoute. Une façon de leur faire comprendre que des solutions existent, et d’éviter le repli sur soi et le silence, autre conséquence des violences sexistes et sexuelles. Plusieurs numéros gratuits existent comme le 39 19, pour les femmes victimes de violences, et leur entourage.
Killian Chapus