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L’utilisation de l’image des enfants, terrain de jeu des parents influenceurs?
Une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique sur les parents devenus influenceurs, révèle la forte exposition de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Une pratique de plus en plus fréquente derrière laquelle peut se cacher un vrai business.

Un enfant faisant un placement de produit sur les réseaux sociaux d’un ou de ses parents. Une pratique courante des parents influenceurs. Ces adultes tiennent des comptes sur les réseaux sociaux qui cumulent plusieurs milliers et parfois des millions d’abonnés. Sur leurs comptes, leurs vies privées sont exposées à la vue de tous, tout comme leur(s) enfant(s).
Selon une étude de l’Observatoire de la parentalité et de l’éducation numérique (OPEN), ces personnes représenteraient 1,1% de la population totale des parents en France. D’après elle, 85% des parents influenceurs publient des photos ou des vidéos de leurs enfants (moins de 16 ans) au moins une fois par semaine. 38% publient une fois par jour.
Les enfants au premier plan
L’OPEN définit les parents influenceurs comme des parents déclarant avoir déjà bénéficié d’avantages en lien avec cette activité (cadeaux, promotions, rémunération). En somme, ces parents tirent des profits de la production de contenus sur leurs réseaux sociaux. Du contenu qui gravite autour de leurs enfants, véritables aimants à clique.
D’après l’enquête, 74% des enfants tiennent le rôle principal dans les vidéos publiées par les parents influenceurs, lorsqu’ils ne sont pas les seuls figurants. Les enfants sont les principaux acteurs des vidéos pour la moitié des influenceurs qui en publient.
Buzzles a contacté la mère derrière le compte Instagram, familled’amour56, suivi par plus de 11.000 personnes. Sur son compte, la maman de 34 ans partage essentiellement des contenus via lesquels elle raconte des moments de son quotidien ou des photos et vidéos de son fils Liam de 12 ans.
Parmi ses publications, la majorité sont des partenariats avec des marques. « Je l’ai choisi avec mon fils. Cela nous permet de recevoir des cadeaux en échange d’un post sur Instagram».
Les enfants en bas âge bien plus mis en avant par les parents influenceurs

Une exposition précoce
Mais où se place l’enfant dans tout ça ? Sont-ils d’accord pour être mis en avant ? L’étude ne permet pas d’en avoir la certitude. La plupart des enfants exposés par des parents influenceurs ont en moyenne moins de 5 ans. Il est donc difficile de croire que leur avis soit pris en compte.
Liam est le fils de familled’amour56, d’après elle, il est libre de participer ou non à la vie du compte Instagram : « Je lui demande à chaque proposition de partenariat s’il est d’accord pour le partager avec nos abonnés. Parfois, ça ne l’intéresse pas donc il ne veut pas. Je lui laisse le choix ».
Selon l’OPEN, seulement 44% des parents déclarent obtenir le consentement de leur(s) enfant(s) avant de publier du contenu sur leur(s) personne(s). 42% déclarent ne pas empiéter sur le temps de repos, des devoirs ou des loisirs. Des données pouvant questionner la moralité de certains parents.
Si la maman influenceuse multiplie et avoue passer des heures à sélectionner soigneusement ses collaborations, elle confie ne pas tirer de profits de ces partenariats. «Je me contente de partager les cadeaux que je reçois avec mes abonnés en citant la marque. Je ne touche pas de rémunération sinon la loi m’obligerait à le spécifier en description».
« Je fais ça pour le plaisir ! »
Cette mère influenceuse n’est pas la seule à être submergée de cadeaux. Selon l’étude, la moitié de ses collègues ont reçu ou ont déjà reçu des cadeaux. Parmi eux, un quart en reçoivent plusieurs fois par semaine. Des cadeaux qui sont loin de n’être que des bricoles. «Certains cadeaux sont tellement chers, que je ne me permettrais pas de les acheter dans la vie de tous les jours», confie familled’amour56.
La mère de famille a commencé son activité sur les réseaux sociaux il y a 3 ans, après avoir été arrêtée à la suite d’une opération lourde. Selon elle, ses motivations ne seraient pas lucratives : « je fais ça avant tout pour le plaisir ! Je ne gagne pas ma vie avec mon compte. J’ai un travail à côté. Me mettre à fond dedans nécessiterait de créer une entreprise et je n’en ai pas l’envie pour l’instant ».
Elle concède toutefois que l’opportunité de travailler avec des marques a changé la vie de sa famille : « les collaborations ont amélioré notre vie. On a par exemple reçu des places pour aller au Parc Astérix gratuitement. C’est une chance ».
Instagram, deuxième plateforme la plus utilisée

D’après l’étude de l’OPEN, près de la moitié des parents influenceurs affirment vivre uniquement de leur activité.
Une donnée qui montre que cette pratique est rentable. 70% d’entre eux déclarent gagner jusqu’à 5000 euros mensuels. Un chiffre qu’il faut toutefois prendre avec des pincettes et qui varie en fonction de la notoriété des parents influenceurs.
L’étude de l’OPEN différencie les parents influenceurs avec plus de 10.000 abonnés et ceux avec moins de 10.000 abonnés, les nano-influenceurs. Cette démarcation est importante car selon la catégorie où se positionne le parent influenceur, le caractère de son activité sera différent. Les nano-influenceurs sont plus poussés par la passion de créer du contenu comme le témoigne familled’amour56.
Les comptes qui cumulent le plus de followers, peuvent cacher de véritables entreprises. Environ 60% des sondés dans l’étude délèguent plus de la moitié de leurs activités à des professionnels.
Une sous-traitance qui professionnalise l’activité de parent-influenceur, qui devient un métier pour certains. Familled’amour56 préfère tout gérer elle-même afin d’éviter les mauvaises surprises : « je suis la seule à m’occuper de mon compte, ce qui prend énormément de temps. Je souhaite être en lien direct avec les marques qui me proposent des produits afin de vérifier leur éthique ».
Les parents influenceurs affirment que l’argent gagné sert leurs enfants

L’influence et l’utilisation des enfants à des fins pécuniaires est souvent l’objet de débats enflammés dans l’espace public. 76% des sondés dans l’étude ont déjà reçu des critiques pour avoir partagé des photos ou des vidéos de leur(s) enfant(s) sur les réseaux sociaux.
Ces critiques peuvent provenir des internautes mais aussi d’amis et même parfois de la famille des parents influenceurs. Familled’amour56 confie avoir aussi été la cible d’invectives : « je reçois des commentaires malveillants à propos de mes contenus. Honnêtement, je m’en fiche, je ne regarde pas. C’est souvent de la jalousie. Des membres de ma famille m’ont déjà fait des réflexions blessantes ».
L’étude ne soulève pas les dérives de l’activité des parents influenceurs. Pourtant, elles sont bien réelles. En attestent les mises à jour récentes de la loi. La loi Bruno Studer du 19 octobre 2020 encadre l’exploitation commerciale des enfants et sanctionne les parents abusifs sur l’utilisation de leur image.
Rémi Capra-Brocard