février 12

Face à la réforme des retraites, les jeunes se mobilisent

Ils étaient 1,12 million selon la police, et 2 millions selon les syndicats à défiler partout en France contre la réforme des retraites. Parmi ces manifestants, se trouvaient de nombreux jeunes entre 16 et 30 ans, soucieux de leur avenir.

Photo d’un slogan, prise lors de la manifestation du 19 janvier 2023 contre la réforme des retraites, au départ de la place Masséna à Nice / @théo boissonneau 

Le 10 janvier dernier, le gouvernement a annoncé repousser l’âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans. Les principaux syndicats ont prévu partout en France plusieurs jours de manifestations, dans le but de contrer cette réforme. Selon un sondage IFOP, 69% des 18-24 ans interrogés sont opposés à la réforme. Le jeudi 19 janvier des milliers de jeunes se sont mobilisés partout en France. 

Pourquoi, à quarante ans de leur retraite, ces derniers s’en préoccupent déjà ? Pour Damien, agent technique de 27 ans, qui a défilé à Nice “C’est important de se mobiliser dès maintenant si on ne veut pas partir [à la retraite] à 80 ans”. Il faut s’engager dès aujourd’hui pour les combats de demain pensent les jeunes. C’est aussi dans un souci de solidarité avec les générations plus âgées qu’ils manifestent, nous confirme le sympathisant CGT. “On est dans le même bateau. Il n’y a pas de jeunes ou de vieux. Il y a les travailleurs, et quel que soit notre âge, on voit bien que tout ça (la réforme) ne va pas dans notre intérêt et qu’il faut se mobiliser”

C’est aussi dans l’objectif de réduire les inégalités que les jeunes se mobilisent. Clémentine, chercheuse de 29 ans, manifestait elle aussi à Nice. Elle confie ses inquiétudes vis-à-vis de la retraite, et des inégalités déjà existantes que cette réforme ne ferait qu’accroître. Elle “va accentuer toutes les inégalités entre les classes de la société. Entre hommes et femmes également, puisque les femmes ont des carrières plus coupées que les hommes, à cause des congés maternités”. Il est difficile aujourd’hui de trouver un travail pour les plus de cinquante ans, pourtant l’âge de la retraite ne fait qu’augmenter. Cela crée des manques dans les années cotisées, et les jeunes générations en sont conscientes. “Je manifeste parce que je n’ai pas envie de partir à la retraite à 75 ans”, poursuit Clémentine, peu convaincue par cette obligation de travailler 172 trimestres pour avoir droit à sa retraite à taux plein.

Damien est inquiet, « Cela fait 3 mandats présidentiels que je connais, et à chaque fois on a eu des réformes des retraites où on continue à repousser l’âge du départ à la retraite”.  Cet agent technique ne croit plus, lui aussi, à la retraite. Il est lassé de ces réformes qui s’enchaînent et reste persuadé que cela ne s’arrêtera pas là : “Qu’est ce que ça va être quand ce sera notre tour ?” . Depuis 2008, trois réformes majeures ont déjà augmenté l’âge de départ à la retraite. Pour l’atteindre, les travailleurs doivent maintenant avoir cotisé 172 trimestres. 

Des syndicats engagés 

De nombreux syndicats étaient présents dans les manifestations pour mettre en avant la parole des jeunes, tels que le Mouvement National des Lycéens (MNL), La Voix Lycéenne, mais également des syndicats plus généraux comme la CGT et la CFDT.

Teddy, secrétaire national du Mouvement National des Lycéens (MNL) à Montauban, a rejoint le MNL afin de mobiliser les jeunes sur la question des réformes des retraites. C’est une nécessité pour ce syndicat des lycéens de participer à ces manifestations car “même si c’est à long terme, on est tous concernés et on est pas à l’abri que cette situation s’aggrave et empire au cours des prochaines années, peut-être que nous ne percevrons pas de retraite”, a déclaré le secrétaire national.

Une première manifestation s’est déroulée le 19 janvier où de nombreux acteurs ont répondu présent. “Nous avons mené une première journée de manifestations au côté de tous les syndicats, la Fédération Syndicale Étudiante (FSE), la CGT et l’Inter-syndicale des jeunes. Pour nous, la lutte passe par des blocus dans les lycées et ensuite par l’information pour permettre de rassembler le maximum de personnes.”

Une première mobilisation qui a beaucoup circulé entre les établissements français, “on constate qu’il y avait 100 à 200 lycées mobilisés et sur la quasi-totalité des manifestations il y avait des dizaines de milliers de jeunes mobilisés.” Ces manifestations ne sont que le début de grands projets, pour Teddy, le mot d’ordre est simple : “On continuera à manifester jusqu’au retrait de la réforme”. 

La place Masséna à Nice, toute vêtue de rouge avant le départ du cortège, 19 janvier 2023  / @théo boissonneau

Partir plus tard, mais à quel prix ?

“La retraite ne sera pas dans 40 ans, parce qu’au rythme où ça va on va nous rajouter 10 ans. Moi, à 23 ans, je peux être sûr que je ne la prendrai pas avant 70 ans”, affirme Thibault, technicien de maintenance et manifestant à Nice le 19 janvier. La jeune génération se voit même inquiète de ne jamais pouvoir toucher leur retraite, avec l’espérance de vie qui stagne depuis quelques années. La durée de vie moyenne pour une femme est de 85 ans contre 79 ans pour les hommes. En partant à la retraite de plus en plus tard, certains doutent de pouvoir profiter pleinement de toutes ses années où ils ont cotisé pour leur retraite. D’autres se posent aussi la question dans quel état de santé ils seront après toutes ces années à travailler. Avec plus de 50 ans de travail sur le dos pour certains, voire plus, les maladies peuvent s’enchaîner. 

D’après les données de l’Insee mise à jour en avril 2021, l’âge moyen en bonne santé en France est de 63,7 ans pour les hommes et 64,6 ans pour les femmes. “On a des métiers difficiles, ce que le gouvernement cherche c’est qu’on travaille avec des déambulateurs et des cannes. J’aimerais pouvoir profiter de ma retraite en bonne santé”, affirme fermement Laetitia, 25 ans, aide-soignante en milieu hospitalier. 

Pour Carla, cette infirmière en EHPAD qui a rédigé son mémoire sur l’altération physique liée à l’âge, décaler l’âge de départ à la retraite augmenterait les chances de développer des troubles musculo squelettiques et psychiques. “Le vieillissement entraîne un changement de la composition corporelle, une diminution de la masse maigre et de l’hypercatabolisme. Ces facteurs favorisent la diminution des capacités de l’organisme aussi bien physiquement (par des modifications physiologiques), psychiquement et intellectuellement”. Ces troubles musculo squelettiques et psychiques en hausse de 17,9% par rapport à 2020 constituerait les causes principales de départ anticipé à la retraite. “Il m’arrive de trouver des patients qui se sont vu être obligés de prendre leurs retraites sans finir de cotiser à cause de leurs états de santé qui se dégradent de jour en jour”.

Le secteur d’activité joue également un très gros rôle dans ces départs anticipés. Selon le médecin généraliste Arthur Cherel “Ajouter 2 ans aux individus travaillant dans le bâtiment peut avoir de très grosses répercussions sur leurs états de santé au long terme”.

Les deux experts restent unanimes sur le fait qu’ils leurs arrivent de trouver des patients qui s’efforcent de continuer à travailler pour pouvoir subvenir à leurs besoins et ce malgré de très grosses douleurs et une fatigue mentale et physique quotidienne. 

“Aujourd’hui, je ne crois plus au pouvoir de la manifestation”

Le projet de réforme proposé par le gouvernement ne semble pas pour autant impacter la totalité des jeunes. Nombreux sont ceux interrogés qui ne se sentent pas concernés par ces modifications. Ils pointent du doigt l’intérêt de la manifestation qui semblerait être en déclin. « Je suis jeune, j’ai 22 ans et ma retraite est dans plus de 30 ans, pourquoi manifester ?”  explique Marwa. Cette jeune étudiante en 2ème année de médecine ne croit plus au pouvoir des manifestations: «je trouve que les manifestations n’ont plus le même impact qu’avant, la crise des gilets jaunes l’a bien démontrée. C’est triste à dire mais aujourd’hui, je ne crois plus au pouvoir de la manifestation». Marek, étudiant en école de commerce semble partager le même avis que cette dernière «S’ils veulent faire bouger les choses, je ne pense pas que des manifestations dans les rues vont pousser le gouvernement à faire changer leurs textes de lois et à ne pas appliquer un 47e 49.3 ». Selon ce dernier, cette manifestation ne le « concerne pas tellement », mais plutôt « les personnes en fin de carrière ».

Une telle indifférence pour une partie des interrogées peut s’expliquer par un «flou sur le sujet». Anaïs, étudiante en 2e année de BTS avoue ne pas avoir réellement compris la réforme: “Je n’arrive pas tellement à me rendre compte de la gravité du problème étant donné que je ne suis pas assez renseignée sur le sujet », explique-t-elle.

D’autres, comme Kim, étudiant en école d’ingénieur, pensent que décaler l’âge de la retraite est la seule façon de «combler le déficit» auquel la France fait face. « Aux vues de la situation économique actuelle du pays avec l’inflation et le Covid 19 qui nous a beaucoup impacté, je trouve nécessaire de décaler de 2 ou 3 ans l’âge de départ à la retraite ». À ses coté, son ami Houcine, poursuit avec :« il y a un déficit, il faut combler ce déficit au plus vite, et ça doit commencer maintenant». 

De nouvelles formes de respect au sein des manifestations 

À Rennes, la réforme des retraites touche la génération dominante de la ville, c’est-à-dire les plus jeunes. Là où les 15 à 29 ans représentent ⅓ de la population, les manifestations deviennent habituelles et s’organisent avec ses traditions locales racontées par Juliett, étudiante en psychologie à Rennes. “Il y a la manifestation normale et des cortèges style anti-capitalisme, anti-fasciste etc. (…)  Dans Rennes, il y avait des gens de tout âge, mais ce cortège était principalement jeune, que ce soit des étudiants ou des lycéens .” Les manifestations sont en accord avec les valeurs partagées par cette génération. L’écriture inclusive est présente sur les écriteaux, le respect règne entre les manifestants (hors casseurs ou externes aux cortèges), etc.  Cette répartition entre les cortèges respecte surtout la volonté de chacun et permet de trouver un cortège qui nous corresponde.  Cette bienveillance entre manifestants fait partie des nouvelles habitudes que souhaite instaurer la nouvelle génération.  Mais la principale nouveauté de cette génération est, bien sûr, les réseaux sociaux, espace révélateur des engagements modernes. Les comptes Instagram se multiplient comme La Jeunesse Insoumise  ou l’Union Pirate (aperçus dans ces manifestations). “Les réseaux sont devenus très importants pour partager ses idées. J’aime beaucoup le format des story car, en me répondant, la discussion est privée et permet des échanges à apports mutuels. J’apprends aussi, et je vois surtout l’impact. Des amis m’ont même dit qu’ils en discutaient à table avec leurs parents.”, explique Antonin, cofondateur de L’union Pirate Lycéen de Rennes. Celui-ci insiste sur la bienveillance que lui connaît sur les réseaux sociaux, à travers son compte personnel ou ceux de ses collègues. Surprenant sur les réseaux, mais réel. Les partages de publications politiques ouvrent de plus en plus à des débats avec, certes, des avis parfois très opposés, mais les jeunes entre eux ont l’air de rester majoritairement respectueux.

Chloé Bach Chaouch, Théo Boissonneau, Nafida Abdillah, Faustine Bassac, Lili-Jeanne Bluteau