« On a fermé des imprimeries » : le déclin de la presse papier suscite des craintes dans les coulisses de Nice-Matin

Si la crise des journaux touche les journalistes, les rotativistes et opérateurs prépresse n’en sont pas moins impactés. Et inquiets.

Les rotatives tournent encore au siège historique de Nice-Matin, boulevard du Mercantour, avant de déménager dans le Var dans deux ans. | Photo : Aurélien DUFOUR

Une diffusion qui s’écroule et des inquiétudes qui fleurissent. La chute libre du nombre de tirage en presse écrite n’impacte pas que les journalistes. Elle implique également ceux dont le nom n’apparaît jamais. Rotativistes ou opérateurs prépresse, ils assistent, impuissants, à une crise sans précédent. Le 8 février, nous avons fait irruption dans les coulisses de Nice-Matin, dans les anciens locaux du journal, boulevard du Mercantour à Nice, où se trouvent encore les rotatives, pour donner la parole à ceux qui la diffusent.

Une diffusion 236 fois moins importante qu’il y a 14 ans

C’est un constat réalisé depuis plusieurs années maintenant. Le nombre de tirages de la presse papier française diminue irréversiblement. Si en 2009, plus de 4,2 milliards d’exemplaires avaient été diffusés en France, 1,9 milliards de journaux ont été distribués aux Français en 2021 selon l’ACPM (Alliance pour les Chiffres dans la Presse et les Médias). Soit une diminution de plus de 55% en douze ans. L’écroulement est encore plus impressionnant pour les journaux locaux, les PQR (Presses Quotidiennes Régionales). D’après les chiffres de l’ACPM, plus d’1,5 milliard de journaux locaux ont été distribués en France en 2009. La diffusion était, en 2021, 236 fois moins importante et atterrissait aux alentours de 6,6 millions d’exemplaires.

Un facteur en particulier explique ce déclin : l’arrivée des smartphones dans les années 2000 et le libre accès, souvent gratuit, à l’information par le numérique. « Une catastrophe » pour Thierry Schumeng, directeur technique de Nice-Matin, qui évoque aussi la crise des subprimes en 2008. « À ce moment-là, la presse (il souffle), elle commence à se casser la gueule » témoigne-t-il, en précisant qu’« elle a moins d’argent et plus de contraintes ».

Le directeur technique de Nice-Matin connaît aussi bien les rotatives installées boulevard du Mercantour à Nice, que le trajet séparant le bâtiment à son domicile montpellierain qu’il fait chaque semaine. Dans la maison niçoise depuis trois ans, il est l’un des premiers témoins du déclin de la PQR, et notamment de Nice-Matin. « Ici à Nice-Matin, il y a 25-30 ans, on tirait 300 000 exemplaires. Aujourd’hui on en fait moins de 100 000 » expose-t-il à l’entrée du siège historique du journal, le bruit strident des vieux chauffages n’altérant en rien la solennité de son constat. L’ACPM corrobore le calcul de Thierry Schumeng. Si plus de 68 000 journaux niçois étaient imprimés en 2018, ils sont moins de 56 000 à sortir des rotatives chaque soir.

Un centre commun d’impression dans le Var avec La Provence d’ici deux ans

Face à cette chute libre des tirages, « on a fermé des imprimeries, on a restructuré » se souvient Thierry Schumeng. Les centaines de titres de presse se sont tous regroupés « en sept ou huit groupes mastodontes ». De là, il ne reste que quelques « irréductibles sudistes », et non des irréductibles gaulois, dont fait partie Nice-Matin. En 2023, la restructuration est encore loin d’être terminée. Le directeur technique explique que « l’objectif est de faire un centre commun d’impression […] dans le Var » avec le journal marseillais La Provence d’ici deux ans car il n’y a plus assez de tirages « ni pour nous, ni pour eux ». Le but derrière cette réorganisation est de « mutualiser les moyens de production de façon à faire descendre les coûts d’impression » développe Thierry Schumeng.

Les journaux défilent dans les usines de Nice-Matin, boulevard du Mercantour à Nice. | Vidéo : Aurélien DUFOUR

Avec son mélange d’assurance à faire pâlir tous les lycéens préparant leur grand oral et de franc-parler caractéristique du sud de la France, il laisse passer quelques inquiétudes. « Le papier a pendant très longtemps absorbé tous les coûts fixes lorsqu’on a lancé les premières rédactions web » énonce-t-il, « aujourd’hui, ça commence à être beaucoup plus compliqué avec des tirages qui baissent ». Associé à cette diminution, un système publicitaire moins avantageux qu’avant, étant donné qu’une pub sur le web coûte dix fois moins chère qu’une autre sur papier, les raisons de s’inquiéter sont bel et bien présentes.

« Demain, il n’y aura personne »

Des craintes partagées par Fabrice, du pôle prépresse, chargé de vérifier les articles rédigés par les journalistes avant de les envoyer vers les rotatives. « Il y a plusieurs années ici, il y avait 300 personnes. En mars 2010, on était quinze de nuit. Maintenant, on est deux. Et demain, il n’y aura personne. » Et de conclure, fataliste : « c’est l’évolution qui veut ça et on ne peut pas lutter. » Les inquiétudes se ressentent aussi chez les rotativistes, qui veulent garder espoir : « j’espère quand même que la presse écrite va durer un peu » témoigne l’un d’entre eux, accoudé sur sa machine.

Selon Thierry Schumeng, si la révolution numérique est inévitable, « ce qui nous sauvera, c’est la qualité du contenu et comment on le valorise ». À l’heure où même les presses locales sont tournées vers l’information nationale voire internationale, les concurrents ne sont plus l’historique et irréductible sudiste qu’était La Provence, dans le cas de Nice-Matin, « mais ils s’appellent aujourd’hui Google, Amazon, Facebook, et Microsoft. Nos concurrents, ce sont les GAFAM ». Et si les irréductibles gaulois de presses locales résistaient à l’empire romain des GAFAM ?

Aurélien DUFOUR