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Le tabou autour des TCA
Peur du jugement, déni : des victimes de troubles des conduites alimentaires témoignent.

La distorsion de l’image corporelle, un des symptômes de l’anorexie mentale.
Les troubles des conduites alimentaires concernent plus d’un million de Français, dont 600 000 jeunes selon l’Association Anorexie Boulimie Ouest. En plus de ces cas, de nombreuses personnes n’osent pas en parler ou n’ont pas conscience de la gravité de leurs comportements. Selon une enquête Ipsos pour Qare de juin 2022, 61 % des Françaises entre 16 et 24 ans disent souffrir ou avoir souffert de TCA. Lucie*, 23 ans, ex-boulimique, s’est retrouvée dans cette situation : « J’ai mis du temps à en parler, car j’avais honte de ce que je faisais ». Pour Sarah*, 26 ans, victime de crises d’hyperphagie, c’est le déni qui a longtemps pris le dessus : « Je ne savais pas trop ce qu’il se passait, je mettais ça sur le fait que je n’allais pas bien par rapport à mes études ». Une étude du centre hospitalier de Rouen affirme que « les trois formes syndromiques principales, anorexie mentale, boulimie et hyperphagie concernent au total près de 10 % de la population. Les données sont plus limitées concernant les autres TCA atypiques, mais la prévalence totale des TCA peut atteindre près de 20 % de la population ». Si l’on en croit ces chiffres, pas moins de 7 à 14 millions de personnes souffriraient de TCA en France.
« Je calculais tout, je contrôlais tout »
Lucie est tombée dans les TCA en classe de terminale. Elle avait 17 ans et voulait affiner sa silhouette. Elle s’impose alors une discipline alimentaire restrictive : « Petit à petit, je devenais obsédée par la nourriture, je pensais tout le temps au prochain plat que j’allais faire en mode “healthy”. Je calculais tout, je contrôlais tout ». L’anorexie mentale, refus d’absorber des aliments, est souvent le premier trouble qui se manifeste, certains restent dans la restriction et d’autres développent des comportements hyperphagiques, à savoir l’ingestion d’aliments en quantités importantes sur une courte période de temps. « J’avais des crises d’hyperphagie qui m’ont menée à la boulimie » explique Lucie. Ce qui distingue ces deux syndromes ce sont les comportements compensatoires propres à la boulimie tels que des vomissements, l’utilisation de laxatifs, de diurétiques ou des exercices physiques excessifs.
Une succession de hauts et de bas
Les troubles des comportements alimentaires ne sont pas constants. Les victimes en souffrent plus ou moins selon leur état du moment et certains événements de leur vie. Pour Sarah, le stress des études a été l’élément déclencheur : « Je faisais des études qui ne me plaisaient pas, j’ai fini par faire un burn-out et c’est à ce moment-là que j’ai commencé à faire des compulsions alimentaires ». C’est alors qu’elle a décidé de tout changer : « J’ai arrêté mes études, j’ai voyagé et ça s’est arrangé, mais ça revenait dès que je retraversais des périodes de moins bien. Quand mon quotidien s’est stabilisé à nouveau, je suis retombée dans mes travers ». Ces différentes phases mentales participent au silence des victimes, qui espèrent que chaque amélioration sonne comme la fin des troubles, ou que les crises soient temporaires. Sarah se répétait souvent cette phrase « demain ça ira mieux, je vais me reprendre en main ».
« J’étais en mode survie »
Les restrictions ont des conséquences dramatiques sur le métabolisme et les pensées restrictives mettent le cerveau dans un état de stress et de pénurie permanent. Sarah l’a justement vécu : « J’étais en mode survie, je dépensais toute mon énergie à développer des pensées restrictives ». Ces troubles peuvent affecter d’autres aspects de la vie, comme les émotions. Pourtant calme auparavant, Lucie affirme qu’elle est devenue plus instable : « J’alternais entre l’excitation, la dépression voir l’agressivité par moment ». La charge mentale peut aussi affecter le sommeil. Jérémy* a aujourd’hui 25 ans, mais durant ses deux années de TCA de 16 à 18 ans, son sommeil était perturbé : « J’avais un sommeil agité, même quand j’étais très fatigué ».
Comment se reprendre en main
Les trois personnes qui témoignent en ont fini avec les TCA, même si de petites crises persistent encore, mais ce n’est malheureusement pas une généralité. Selon l’association anorexie boulimie Ouest (AAB Ouest), « 50% des personnes souffrant de TCA ne bénéficient pas d’une prise en charge médicale ». Consulter un psychologue peut aider. De plus en plus se spécialisent dans le traitement des cas de TCA, mais toujours selon AAB Ouest, « le délai d’attente avant une première consultation dans une structure spécialisée est de 2 à 3 mois en raison du nombre très important de demandes ». Des méthodes alternatives existent, comme en atteste Jérémy qui a consulté un coach en TCA : « Je l’ai vu sur les réseaux sociaux. J’étais réticent au début, mais en quelques mois, mes galères étaient devenues de l’histoire ancienne ». Côtoyer des personnes qui ont vaincu les troubles alimentaires, et s’inspirer le leur parcours : « Il explique ce qu’il ne va pas en nous, car ce n’est pas toujours évident. Il dit ce qu’il faut faire, sans imposer des règles trop strictes. Le principe de l’autorisation a été un tournant pour moi ». Lucie s’est quant à elle libérée grâce à l’hypnose : « J’ai compris d’où venaient mes problèmes, car c’est souvent des causes anciennes qui refont surface ». La solution paraît parfois simple, mais sans accompagnement les victimes peuvent rester longtemps dans l’ignorance. « J’en ai d’abord parlé à ma mère, puis j’ai pris rendez-vous et après quatre séances, je pouvais enfin dire que j’étais libre. Je pense qu’il est difficile de s’en sortir seul, il faut vraiment en parler » insiste Lucie.
Haron Leveau
*Les prénoms ont été changés à la demande des personnes interviewées