
Pourquoi préfère-t-on sauver les animaux « mignons » ?
Si le physique des êtres humains conditionne souvent leur rang et leur acceptation sociale, le règne animal n’est pas épargné par la suprématie du « beau ». Un classement qui n’est pas sans conséquences pour les animaux à l’apparence moins avantageuse.
Requin pèlerin, requin marteau, raie, lynx, vison, ours brun, beaucoup connaissent probablement ces espèces et savent peut-être qu’elles sont en voie de disparition en France. Ce que l’on sait moins, c’est que c’est aussi le cas de l’anguille européenne, d’une dizaine d’espèces de chauves-souris, de la vipère, du gypaète, des vers de terre et autres insectes des sols. Une part de cette méconnaissance est due au fait que les espèces de la seconde liste sont très peu traitées dans les médias ou perçues négativement. Pourquoi le sont-elles ?
En deux clics sur internet, on retrouve les principales associations de défense des animaux, et c’est souvent le même procédé : dauphins et tortues en page d’accueil pour Sea Shepherd, baleines, éléphants et gorilles pour le WWF. Même constat pour l’ASPAS, l’Association pour la Protection des Animaux Sauvages, où l’on retrouve d’emblée des animaux esthétiquement plaisants comme des loups, des renards et des ours.
« Le délit de sale gueule est évident »
A la différence des autres associations, l’ASPAS affiche assez vite sur son site son objectif de protection des animaux plus repoussants comme les blaireaux, amphibiens et même « nuisibles ». La ligne de conduite qu’ils défendent : « Certains animaux pâtissent d’une mauvaise image, sont chassés, d’autres subissent le changement global et l’évolution de l’aménagement du territoire et de l’habitat. Pour l’ASPAS, tous sont à protéger ! »
Marc Giraud, porte-parole de l’association ASPAS explique sa vision des choses : « Le ‘’délit de sale gueule’’ dans le milieu de la protection des animaux est évident, il y a eu des publications montrant que les associations oubliaient les bêtes considérées comme repoussantes, notamment les petites (vers, araignées…). Et à l’inverse, les animaux mignons sont les emblèmes des assos de protection de la nature, comme le grand panda du WWF. »
Un lien inconscient entre beauté et valeur morale
On pourrait penser que ces animaux qui figurent dans le bas du classement le sont d’une part à cause de leur nature effrayante comme les anguilles ou les hyènes. Marc Giraud ajoute à ce sujet : « C’est évidemment très subjectif : le dauphin semble sourire et nous plait alors qu’il est un prédateur, le crocodile aussi semble sourire mais c’est un reptile « froid » et il fait peur. […] Les animaux sont ce qu’on leur prête… Ça dépend des cultures, les chauves-souris sont très aimées en Asie, et font encore peur en Occident. » Autre exemple avec l’ours qui est dans le haut du classement, et qui n’est pourtant pas un animal pacifique. On recense 95 attaques mortelles d’ours entre 2000 et 2015 dans le monde.
Mais alors pourquoi se focalise-t-on uniquement sur les animaux « mignons » ? Un premier élément de réponse nous est donné par une étude réalisée par trois chercheurs de l’université de Melbourne auprès de 1600 participants. L’objectif de cette étude publiée en 2019 est de démontrer s’il existe ou non un lien entre la beauté qu’on reconnait aux animaux et les valeurs morales qu’on leur prête. Et de la, voir si l’on préfère protéger les animaux que l’on trouve plus esthétiques. Les participants devaient évaluer dans quelle mesure ils trouvaient chaque animal beau ou laid. On leur a ensuite demandé d’évaluer dans quelle mesure ils ressentaient le désir de protéger l’animal en question.
La conclusion est claire : les participants attribuent à 95% un statut moral aux animaux les plus mignons contre près de la moitié moins aux animaux qu’ils ont considérés comme plus laids.
Les bébés animaux activent notre instinct de protection
Ces conclusions qui paraissent somme toute assez immorales sont en fait le résultat d’un phénomène parfaitement explicable chimiquement et inhérent à la perception que les humains ont des animaux.
Le sentiment de « mignon » que les internautes ressentent si souvent devant des vidéos de chatons est le résultat de plusieurs interactions cérébrales que l’ethnologue Konrad Lorenz a étudié. En 1949 il expose sa théorie qu’il appellera « Kindchenschema » ou « Schéma de l’enfant » en français, qui est encore pertinente aujourd’hui. Cette théorie explique en premier lieu que les humains réagissent de manière naturelle et inconsciente aux traits physiques des bébés en déclenchant une réaction de protection maternelle. Quand il a fallu expliquer pourquoi ce mécanisme s’activait également face aux bébés animaux, Lorenz a listé des caractéristiques physiques qui semblent globalement déclencher ce réflexe. Parmi elles, on retrouve des grands yeux, une gestuelle maladroite, une grosse tête et des grosses joues ou des membres courts et potelés. Le panda roux est l’un des animaux qui cumule le plus de caractéristiques répertoriées par Lorenz. C’est aussi l’un des animaux qui incite le plus aux dons pour sa protection.
Chimiquement, cet élan de tendresse s’explique par une activité très importante au niveau d’une zone du cerveau : le noyau accumbens. C’est là qu’est produite la dopamine, « l’hormone du bonheur ». C’est cette hormone qui, en plus d’éveiller notre empathie et l’instinct de protection, fait que nous préférons les pandas roux aux dindons.
Angèle Ingrand