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Sites pornographiques : mise en place, encore hypothétique, d’une « attestation numérique » pour les mineurs
Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice des Alpes-Maritimes et coautrice du rapport « Porno, l’enfer du décor », revient sur l’annonce, future, d’une “attestation numérique” pour empêcher les mineurs d’accéder aux sites pornographiques. Elle a répondu à nos questions pour Buzzles.

En septembre 2022 paraissait le rapport « Porno, l’enfer du décor », coécrit par quatre sénatrices. Alexandra Borchio Fontimp, sénatrice Les Républicains des Alpes-Maritimes, est l’une des rapporteures. Dimanche 5 février, le ministre délégué chargé du Numérique, Jean-Noël Barrot, a annoncé au Parisien la mise en place d’une “attestation numérique” pour empêcher l’accès aux sites pornographiques pour les mineurs. Une mise en place annoncée pour septembre prochain. Aucune information sur la démarche n’a encore été communiquée. Cette attestation serait une première mondiale, symbole d’une nouvelle étape dans la régulation de la pornographie en France.
« Je me réjouis d’apprendre que Jean-Noël Barrot a retenu l’une de nos propositions, à savoir ‘imposer un dispositif de certification de l’âge et de contrôle parental par défaut afin de bloquer l’accès des sites pornographiques aux mineurs.’ », déclare la sénatrice des Alpes-Maritimes. Ce rapport est une première dans l’histoire française. Il a nécessité six mois d’enquête. Il met notamment en lumière le contenu ultra-violent qui a des conséquences néfastes sur les consommateurs, dont les mineurs font partie.
« Le ‘’porno’’ représente 25 % du trafic web dans le monde »
« En violation totale de l’article 227-24 du code pénal, les mineurs sont massivement exposés aux images pornographiques, volontairement comme involontairement. Ainsi, dans les faits, le porno est aujourd’hui accessible à tous, gratuitement, en quelques clics, sans aucun contrôle. Le ‘’porno’’ représente 25 % du trafic web dans le monde. », relève la sénatrice.

Les contours de la mesure étant encore flous, Alexandra Borchio Fontimp émet quelques inquiétudes quant à l’efficacité de ce type de certificat. « Il faut espérer que le dispositif de certification d’âge qui sera utilisé, parviendra à éviter de possibles détournements par l’intermédiaire de systèmes VPN ou de recours au dark web », avertit Alexandra Borchio Fontimp.
La consommation de pornographie en ligne ne se limite pas aux sites de streaming. Le ministre délégué chargé du Numérique n’a pas annoncé de mesures supplémentaires pour la lutte contre la consommation de pornographie au-delà des sites. « Je suis convaincue que cette mesure ne peut pas à elle seule faire disparaître la consommation de pornographie des mineurs. Depuis 2010, des plateformes de partage de contenus à caractère sexuel telles qu’Onlyfans ou MYM sont apparues. Sans oublier, les réseaux sociaux numériques et messageries privées qui parallèlement sont devenus de nouveaux vecteurs de diffusion de contenus pornographiques. Or, on sait que ces canaux de diffusion sont particulièrement appréciés à l’heure où plus de 70 % des 15-16 ans sont présents sur au moins quatre réseaux sociaux : Instagram, Snapchat, Youtube, TikTok. », déclare l’élue Les Républicains.
« Volet éducatif »
« Je crois que ces premiers pas sont nécessaires et s’intègrent dans une volonté de sensibilisation des mineurs. Bien évidemment, ces propositions ne se suffisent pas à elles-mêmes et doivent être accompagnées d’autres mesures comme d’une évolution des mœurs. La répression doit être accompagnée d’un volet éducatif si elle veut être pleinement effective. Il est fondamental d’ouvrir les yeux de toutes et tous sur le fait que la pornographie, outre dans sa consommation, constitue dans sa production un système mondial de violences faites aux femmes. », précise Alexandra Borchio Fontimp qui fait référence à son rapport de 189 pages. Ce dernier met en lumière les pratiques dangereuses du milieu pornographique, d’« d’esclavage moderne », dont les femmes sont les premières victimes. Dans le rapport, le volet éducatif est largement étudié pour montrer son importance dans la lutte globale.
À LIRE AUSSI : L’éducation à la sexualité, priorité d’un collège de l’Hérault : « Le porno, c’est du spectacle, ce n’est pas la réalité» , reportage du Monde publié le 7 février 2023
« Nous avons suggéré plusieurs recommandations qui s’inscrivent pleinement dans la volonté d’éduquer nos plus jeunes. Premièrement, au niveau de chaque académie, nous croyons en la nécessité de désigner un délégué académique à l’éducation, à l’égalité et à la sexualité. Deuxièmement, nous souhaitons encourager à aborder dans le cadre des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective les sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie. », explique la sénatrice. Depuis 2001, une loi prévoit des séances d’éducation à la sexualité au cours de sa scolarité. La version en vigueur depuis le 15 avril 2016 promet une information et une éducation à la sexualité dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène. D’après le rapport « Porno, l’enfer du décor », cette loi est un « échec » dans la réalité. Le rapport souligne notamment un manque d’application du fait d’une insuffisance de formation et de temps pour le personnel enseignant.
La responsabilité des parents n’est pas négligée par la sénatrice : « nous croyons au rôle essentiel des parents face à ces fléaux et souhaitons, dans cette optique, que soit menée une campagne de communication autour de la plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr. »
Au-delà de l’annonce
« Outre cet effet d’annonce, j’espère que le Gouvernement auquel nous avons remis nos recommandations va faire de la lutte contre les violences pornographiques une véritable priorité de nos politiques publiques. Je pense notamment à Eric Dupont-Moretti (Ministre de la Justice), Sonia Backès (Secrétaire d’État chargée de la Citoyenneté) ou encore Elisabeth Rome (Ministre déléguée auprès de la Première ministre, chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, de la Diversité et de l’Égalité des chances) », précise Alexandra Borchio Fontimp. Ce rapport s’inscrit dans une démarche de régulation des dérives qui font partie intégrante de cette industrie, mais aussi de celles qui gravitent autour. La Sénatrice se réjouit d’ailleurs de l’action menée jusque-là.
Pour attirer l’attention sur les dérives de l’industrie pornographique, les quatre corapporteures, Annick Billon, Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen et Laurence Rossignol, ont déposé une proposition de résolution. Elle appelant à faire de la lutte contre les violences pornographiques une priorité de politique publique. Elle a été adoptée le 1 mars au Sénat. « Ce texte législatif, cosigné par plus de 250 sénateurs de toutes les sensibilités politiques, est le texte le plus cosigné au Sénat sous la Ve République, propositions de loi et propositions de résolution confondues », conclut Alexandra Borchio Fontimp.
Le 15 mars prochain, un documentaire sur le site pornographique Pornhub va être diffusé sur Netflix. « Money Shot: The Pornhub Story », réalisé et produit par une équipe féminine, retrace l’histoire du site créé en 2007. Des témoignages d’actrices, de militants et d’anciens employés viennent étayer le propos. Un documentaire qui analysera les scandales et dérives de Pornhub, classé troisième site pornographique le plus visité au monde et le 12ᵉ site internet le plus visité en 2022 selon SimilarWeb.fr.
Maxime Conchon