
Vacances d’hiver 2023: un enfer pour les saisonniers
Manon, 22 ans, est saisonnière à la station de ski de Saint-François-Longchamp dans les Alpes. Bientôt, elle va affronter le plus dur de la saison: les vacances de février. Sommeil et santé mentale sont en jeu.
Illustration du générateur Dall.E 2 // OpenAI
Sur le papier, elles devaient travailler 39 heures par semaine. Mais en ce début février, le rythme de travail a doublé. 80 heures par semaine. Sarah et Manon sont saisonnières à la station de Saint-François-Longchamp.
Épuisée, Sarah explique ce surmenage par le manque de personnel. “Là, comme il manque une personne, on va passer de semaines de 39 heures à des semaines de 80 heures.” Elle ajoute que ce sentiment est partagé par tous ses collègues. Elle se confie à demi-mot sur son appréhension des semaines à venir: “Je n’ai aucune idée de comment va se passer la suite. On avait déjà fait des saisons compliquées, mais là! On est déjà bien fatigués pourtant.”.
Leur patron avait bien prévu trois serveurs. Mais en ce milieu de saison, un de ces postes est toujours vacant. Elles ne sont que deux à assurer le service d’une salle allant jusqu’à 120 couverts en pleine saison. “Ça nous arrive de faire des journées de 7h30 à
minuit avec une heure et demie de pause. Ça nous paraît interminable.”, affirme Manon, consciente que sans son aide, le patron serait obligé de fermer son restaurant. Alors elles se consolent comme elles peuvent: “Au moins, on est bien payées à la fin du mois.”. Finalement, les deux serveuses sont bien loin des 39 heures du contrat initial. Et quand bien même ces conditions frôlent l’illégalité, quel autre choix quand on travaille dans le monde de la restauration?
Un secteur fortement touché par la pandémie
Cette crise ne date pas de cette année. Elle tire ses origines de la pandémie de 2020. Une période noire pour les stations de ski, contraintes à la fermeture. Les saisonniers habituels ont donc été forcés à la reconversion. Bien souvent sans retour. Pour cause, des conditions insoutenables qui n’ont pas arrêté de se dégrader au fil des ans. En temps normal, on compte chaque année environ 80 000 contrats saisonniers signés. Mais en ce milieu de saison 2023, plusieurs milliers de postes restent inoccupés.
Ce n’est pas faute pour les employeurs d’avoir essayé de s’y prendre plus tôt. Cette année les campagnes de recrutement ont commencé vers juillet/août. 6 mois plus tard, l’opération séduction n’a pas su convaincre. Le personnel lui-même devient employeur pour combler ce manque. “On a voulu aider notre patron en sollicitant tous les collègues. Chacun a mis une story Instagram pour chercher des personnes disponibles pour les différents postes manquants. Mais c’est pareil, on n’a obtenu aucune réponse convaincante.”, dit Manon, désespérée.
Les réponses étaient principalement négatives à cause des conditions de travail. Sarah et Manon évoquent leur logement: “C’est vrai que les conditions peuvent décevoir. On est trois filles dans un 9m2 et idem pour les autres.”. Elles sont déjà satisfaites d’avoir leurs heures supplémentaires déclarées, chose rare dans ce secteur, et un lit confortable. Bien qu’elles n’y passent pas beaucoup de temps.
“La fatigue se fait sentir et joue sur notre moral, notre santé”
Le quotidien d’un saisonnier, c’est aussi de côtoyer les mêmes personnes du matin au soir. Manger, dormir, sortir… tout cela est souvent très agréable. Mais le moral est très fragile. Dans ces conditions, Sarah décrit les sautes d’humeur du quotidien. “C’est compliqué pour tout le monde. La fatigue joue sur le caractère de tous. Il va y avoir de très beaux jours où, la veille, on n’aura pas eu beaucoup de monde et donc on aura tous pu se reposer. Ces jours-là, tout va bien.”, décrit Sarah.
Puis Manon intervient sur les jours où les réservations se sont enchaînées: “Là, on est tous exécrables. On n’a pas d’autres choix que de faire avec. Les caractères changent vraiment brusquement. La fatigue se fait sentir et joue sur notre moral, notre santé… Elle a un énorme rôle sur cette saison en fait.”. Et le sujet du sommeil revient souvent. Pas seulement dans leur cas.
Il est recommandé par les spécialistes du sommeil de respecter des horaires de sommeil réguliers. L’idéal serait, même lors des week-ends, de se coucher et de se réveiller aux mêmes heures que la semaine. Mais on se rend compte, avec le témoignage de Manon, que suivre ces conseils est tout simplement impossible. “Nos heures ne sont quasi jamais les mêmes. En plus, on les apprend la veille pour le lendemain. Je peux commencer à 9h30 un premier jour comme à 7h le second.”. Les contrats de ces saisonniers se finissent
globalement vers fin avril. D’ici là, les nuits seront courtes et le travail très exigeant. Manon et Sarah, elles, se raccrochent au peu de sommeil qu’elles auront, à l’ambiance conviviale de ces lieux de travail, et à un salaire réconfortant en raison des nombreuses heures supplémentaires qui y seront effectuées.
Lili-Jeanne Bluteau