
Effondrement du gouffre des Espélugues : « On va peut-être remonter jusqu’à 13, voire 14 000 ans »
Le plancher du gouffre de Dions, dans le Gard, s’est subitement écroulé. La cavité qui s’est créée permet aux chercheurs de remonter plus de 10 000 ans d’histoire, en descendant à 15 mètres de profondeur.

Le 27 décembre dernier, le gouffre des Espélugues, au nord de Nîmes, s’est effondré d’un seul coup. À la place est apparu un énorme trou, de la taille d’un immeuble de six étages. Sur France Bleu, le maire de la ville de Dions, Gérard Théotime, rapportait que « c’est une randonneuse qui a averti la mairie après avoir entendu un énorme bruit ». Des recherches archéologiques y sont menées depuis le 17 janvier. Les premiers résultats des laboratoires sont attendus pour le mois d’avril, ils vont permettre de mieux comprendre comment vivaient les Hommes préhistoriques il y a 10 000 ans.
Cet effondrement est lié à plusieurs facteurs. C’est d’abord dû au Gardon, une rivière souterraine qui creusait la terre depuis des milliers d’années. Sous le plancher du gouffre de Dions, composé d’une roche karstique – c’est-à-dire de calcaire, plus sensible à l’érosion – une cavité s’est formée.
L’hydrogéologue Bernard Vayssade affirmait sur France 3 que deux étapes successives ont été nécessaires pour accélérer ce processus d’écroulement. Cet été, « une sécheresse anormale [a créé] des fentes dans le sol », et quelques mois plus tard, « des pluies automnales […] ont facilité les glissements ». Michel Wiénin, géologue et président de la commission scientifique du comité spéléologique régional d’Occitanie, indiquait, toujours sur France 3, que « c’est le plus gros effondrement de ce type-là connu en France depuis 140 ans ».
« Nous allons pouvoir reconstituer en 3D l’état de la grotte »
Grâce au trou qui s’est formé, une coupe verticale de 15 mètres est accessible, et des milliers d’années peuvent être remontées par l’étude des différentes strates, c’est-à-dire les couches de terre. Laurent Bruxelles, géoarchéologue et chercheur au CNRS, est chargé depuis mi-janvier de mener les recherches spéléologiques dans le gouffre des Espélugues. Selon lui, on trouve sur toute l’épaisseur du nouveau trou « des restes de charbon avec des cendres, qui correspondent à des foyers humains ».
La présence de cailloux taillés par l’homme pourrait prouver que ce site a été aménagé il y a plusieurs millénaires. « Entre sept et huit mètres de profondeur, les strates datent de 8 à 10 000 ans. On va peut-être remonter jusqu’à 13, voire 14 000 ans », poursuit le chercheur. Cela correspond à une période charnière de notre histoire. C’est le passage du Paléolithique supérieur, où les hommes étaient chasseurs-cueilleurs, au Néolithique, période où ils se sédentarisent, forment les premiers villages et développent l’élevage et l’agriculture.
Laurent Bruxelles insiste sur le fait que l’étude du gouffre de Dions va permettre de voir comment était notre environnement il y a 10 000 ans. « Nous allons pouvoir reconstituer en 3D l’état de la grotte, mais aussi le paysage et le climat de l’époque ». Les spéléologues sont contraints d’aller vite, sous peine de perdre cette précieuse trace du passé. « Il ne faut pas perdre trop de temps parce que le gouffre n’est pas figé, il continue de s’effondrer chaque jour, et dès les prochains mois il ne sera plus le même, ses parois vont s’incliner ». Le lieu est en pleine évolution. Manu Zuber, trésorier du CDS 30, le comité départemental de spéléologie du Gard, confie sur France Bleu que « des fissures sont visibles et qu’elles s’agrandissent ».
Les fouilles vont se poursuivre plusieurs années
Mais les fouilles ne sont pas près de s’arrêter. Aucune date de fin n’a été fixée pour le moment, et d’après le géoarchéologue, « il est possible que cela dure plusieurs années ». Les premiers résultats des études menées en laboratoire sont attendus pour le mois d’avril. Cela laisse le temps aux chercheurs d’analyser les sédiments provenant du gouffre, notamment grâce à la technique de datation au carbone 14, qui permet de donner un âge à toutes les matières de moins de 45 000 ans.
Actuellement, les personnes chargées des recherches menées dans le gouffre des Espélugues, se réunissent souvent avec la sécurité civile, les pompiers, la gendarmerie, la mairie du village de Dions, ou encore avec le syndicat des eaux ; afin de gérer le site. « Il faut organiser la recherche scientifique, et en même temps assurer la sécurité » souligne Laurent Bruxelles. Le gouffre était jusqu’à récemment un lieu touristique. Depuis le 27 décembre, il demeure fermé au public.
La commune de Dions est très inquiète face à la médiatisation de son gouffre. Elle redoute que certains de ses habitants ou d’autres curieux souhaitent s’y rendre malgré les interdictions. Le lieu reste dangereux, d’autres effondrements sont possibles. Mais d’ici quelques années, il apportera à la ville « un peu de célébrité, en plus d’une histoire archéologique » selon Laurent Bruxelles. Dions pourrait ainsi prendre la même voie que le village de Tautavel (Pyrénées-Orientales) par exemple, connu pour ses grottes où des hommes préhistoriques ont habité il y a plus de 450 000 ans.
Théo Boissonneau