
Football, rugby… La lente féminisation des sports historiquement masculins
Moins médiatisées, moins licenciées… Depuis toujours les femmes sont moins présentes que les hommes dans le sport en France. Même si elle n’en vient pas à s’inverser, cette tendance évolue, et depuis des années les femmes prennent de plus en plus d’importance, notamment dans les sports historiquement catégorisés comme masculins. Mais cette féminisation est loin d’être dépourvue d’obstacles.
Clémence (deuxième rang, deuxième en partant de la droite) et Valentine (premier rang, deuxième en partant de la droite) avec leurs coéquipières de l’entente féminine de football entre Orcet et Cournon, symbole de la féminisation de sports historiquement masculins. | Photo : Melissa Abdelouma, la capitaine.
Où sont les femmes ? Si en 1977, Patrick Juvet ne s’intéressait sûrement pas à la place des femmes dans le sport, la question de son tube peut se poser pour certains sports. Aujourd’hui encore, les femmes sont sous-représentées dans la plupart des sports, mais surtout ceux historiquement catégorisés comme masculins, tel le football ou le rugby. En 2022, selon Statista, les femmes représentaient 9% des licenciées de la Fédération Française de Football (FFF), et ce chiffre montait à presque 11% pour celle de rugby (FFR). Même si la parité est encore très loin d’être respectée, ces chiffres sont en constante hausse. En 2014, les femmes représentaient seulement 5,3% des licenciées de la FFF et de la FFR.
“J’étais le spectacle du match”
Mais cette féminisation de sports historiquement très masculins ne se fait pas sans mal. “Je voyais bien que j’étais un petit peu le spectacle du match” se souvient Christelle, ancienne joueuse amatrice. Lorsqu’elle a commencé le foot du haut de ses six ans, en 1976, il n’y avait pas encore d’équipes féminines. Elle jouait alors exclusivement avec des hommes. “Une fille avec que des garçons, c’était une dinguerie ! Surtout dans ces années-là, c’était très rare” se remémore-t-elle.
“Maintenant, c’est quand même plus facile de réussir et d’être reconnue qu’à mon époque” avance Christelle. Plus facile qu’avant, sûrement, mais aussi facile que pour les garçons ? Pas si sûr. “Les filles au rugby doivent montrer plus de choses pour être prises au sérieux” estime Anaïs, 18 ans. Pendant deux ans et demi, elle a touché ce qui se fait de mieux en termes de rugby féminin dans le Puy-de-Dôme, en jouant pour l’ASM Romagnat (dont les joueuses professionnelles ont remporté le championnat de France pour la troisième fois en 2021). Si elle trouve aussi que le rugby féminin commence à être davantage reconnu, il reste encore du chemin à parcourir avant d’atteindre la ligne d’en-but d’égalité entre les hommes et les femmes. “Les gens pensent que les contacts au rugby féminin sont moins importants que pour les hommes”, illustre-t-elle.
Médiatisation et rémunération à revoir ?
N’y aurait-il pas dans la médiatisation des sports féminins un levier pour accélérer la féminisation d’activités sportives historiquement masculines ? Si “à la télé, il n’y a pas grand chose” encore constate Kiara, joueuse de l’entente féminine de football entre Orcet et Cournon, “on en parle plus qu’avant” juge Christelle. C’est vrai. La place dédiée aux sports féminins dans les médias, notamment à la télévision, augmente. Selon une étude de l’ARCOM sur le “poids des retransmissions de compétitions sportives féminines à la télévision entre 2018 et 2021” publiée en janvier 2023, la part des compétitions sportives féminines diffusées à la télévision est passée de 3,6% en 2018 à 4,8% en 2021, soit une augmentation de 1,2 points. Cette médiatisation peut se révéler source d’inspiration et d’espoir. En plus des Bleues, Christelle suit les matchs de l’Olympique Lyonnais et elle aurait “rêvé de faire partie de ces équipes”.
La question de la rémunération joue aussi un rôle dans la féminisation des sports historiquement masculins. “C’est toujours le gros problème” souffle Christelle. “Une fille en Ligue 1 devrait être payée autant qu’un homme en Ligue 1” à niveau équivalent, juge Kiara, “c’est logique”. Une logique que partage sa coéquipière Valentine car “elles ont les mêmes obligations : aller aux entraînements, les matchs les week-ends, etc.”.
“Il nous le dit cash : vous êtes nulles”
Et si un des freins à la féminisation de sports “masculins” n’intervenait pas en-amont, avant l’inscription et l’achat de la licence ? Lorsqu’à 13 ans, Anaïs a prévenu ses parents qu’elle voulait faire du rugby, “ils étaient inquiets et disaient que c’était un sport dangereux”. “Au début, on s’est foutu de moi” corrobore Clémence, autre joueuse de l’entente féminine de football entre Orcet et Cournon. “Moi aussi, car je suis une fille” témoigne Valentine. “Ma mère rigolait un peu” répond Kiara. Si malgré tout, les trois jeunes filles de 18 ans ont troqué leurs chaussons de danse pour les crampons, l’intégration n’a pas été facile. “On s’est grave fait juger” se souvient Valentine. “Quand on loupait un contrôle, on prenait des remarques. Une passe loupée, on prenait des remarques” rappelle Clémence, et “plus de la part des joueuses que des entraîneurs”, précise Kiara.
Faut-il y voir une des explications à la (trop) lente féminisation de sports dits masculins ? Cette mauvaise ambiance s’est retrouvée à la fois à Romagnat et à Orcet et Cournon. C’est même ce qui a poussé Anaïs à ranger définitivement son protège-dent. “J’ai arrêté car certaines anciennes se sentaient supérieures et n’essayaient pas d’inclure les nouvelles dans l’équipe” justifie-t-elle. “Elles sont un peu hypocrites” juge Clémence, “c’est un peu chacun sa pomme”. L’esprit d’équipe du club, c’est aussi ce que Kiara aime le moins. “Ça joue beaucoup sur tout” poursuit-elle, et notamment via la constitution de groupes dans l’équipe, symbole d’un manque de cohésion. À cette absence de cohésion s’ajoute aussi un trop faible soutien de la part de leur entraîneur, alternant entre excès d’exigence et manque de pédagogie. “Il nous le dit cash : “vous êtes nulles””, lâche Kiara.
Autant de facteurs qui pourraient pousser les trois footballeuses à, elles aussi, retirer leurs crampons ? “Cette année, entre une mauvaise ambiance dans l’équipe, perdre tous nos matchs depuis un an et demi et un coach qui ne nous soutient pas”, les chuchotements “j’ai envie d’arrêter” se multiplient dans les vestiaires, avoue Clémence. Pourtant, chaque mardi et chaque vendredi, elles sont là. Parfois, elles ne sont que huit. Mais huit femmes prêtes à donner leur maximum pour la victoire.
Aurélien Dufour & Clément Guillonneau