mars 29

« Tu ne te tairas point », la première enquête sur les violences sexuelles au sein du judaïsme français

Le 22 mars dernier, sont sortis les deux premiers épisodes du podcast « Tu ne te tairas point ». L’occasion de revenir avec Lila Berdugo, l’une des deux auteures de cette enquête, sur la mise en place, la nécessité, et l’objectif de ce podcast. 

La couverture du podcast sur toutes les plateformes de streaming.

Les journalistes Lila Berdugo et Salomé Parent-Rachdi viennent de publier leur podcast « Tu ne te tairas point ».  Il aura donc fallu attendre mars 2023, pour que naisse la première enquête sur les violences sexuelles commises au sein de la communauté juive orthodoxe de France. Elle complète en quelque sorte la révélation du quotidien israélien Haaretz. En automne 2021, celui-ci avait dénoncé le rabbin Haïm Walder, très connu dans le pays, d’avoir agressé sexuellement plus de 22 femmes et enfants, tout au long de sa carrière. Les deux journalistes françaises ont donc cherché à savoir, depuis un an et demi, si le même genre d’abus existait dans leur pays.

Leurs recherches les a menées jusqu’à Déborah. C’est une victime de celui nommé « le rabbin numéro un » dans le podcast. C’est la première en France à avoir témoigné publiquement, sur les réseaux sociaux, des violences que certains membres de la communauté juive française subissaient de la part de leur rabbin. Pour elle, Hélène (une autre victime de ce même rabbin), et pleins d’autres, le schéma est toujours le même. Une personne, la plupart du temps une femme, affectée et fragilisée psychologiquement, cherche à se réfugier dans la religion. Elle se lie d’amitié avec un rabbin, dont tous saluent l’impressionnant charisme et la grande intelligence. De cette amitié naît ensuite un amour, malsain, possessif : la victime, plus maître d’elle-même, ne peut se passer de son rabbin, et celui-ci en joue. « Mon rabbin est devenu mon gourou », déplore dans le podcast une victime. Comment renaître après un tel traumatisme ? Comment avoir la force de témoigner ?  Lila Berdugo nous confie : « Ce fut un processus vraiment long […], et différent en fonction des victimes. Certaines nous attendaient pour témoigner, tandis que d’autres étaient plus réticentes ». 

Une religion où la femme est au second plan

En France lorsqu’une victime d’un rabbin souhaite livrer son témoignage, aucune institution n’est prévue pour le recueillir. La culture du silence trône sur le judaïsme. « Il n’y a pas une organisation qui reçoit toutes les victimes » confirme Lila Berdugo. « En revanche, des initiatives sont organisées par des femmes orthodoxes par le biais d’associations, qui mettent en avant la place des femmes au sein de la religion orthodoxe, en leur parlant notamment des notions de consentement ».

Dans cette religion, les femmes sont considérées comme inférieures aux hommes. À ce propos, Hannah Ruimy, une professeure qui enseigne le Talmud (texte religieux), affirmait en mai dernier sur Le Point que dans le judaïsme orthodoxe, il n’y a pour les femmes « que les places que les hommes leur assignent ». Selon elle, « il ne faut pas se poser la question : la place il faut se la faire ».

« On le fait pour les victimes, avec la communauté juive et pas contre elle »

L’objectif des deux journalistes, c’est justement d’accompagner les femmes à se faire leur place dans cette religion. Le titre du podcast n’est d’ailleurs pas anodin : « Tu ne te tairas point ». Outre la référence biblique, il reprend un slogan qui avait été affiché dans le quartier Méa Shéraim de Jérusalem lorsque le scandale autour du rabbin Haïm Walder avait été révélé. « On a mis en place un numéro de téléphone pour les victimes qui souhaiteraient témoigner, et ce numéro, mais aussi ce podcast, ont été créés surtout pour mettre en avant un début de libération de la parole », explique Lila Berdugo. Elle poursuit : « Les femmes ne sont pas seules, on est là pour les libérer et les écouter si elles souhaitent nous parler. On le répète encore, mais on le fait pour les victimes, avec la communauté juive et pas contre elle ».

Le choix du format pour la publication de cette enquête joue aussi son rôle dans la libération de la parole. « Le format du podcast est super bien adapté parce qu’on est libre de faire presque ce que l’on veut, et ça permet de garder au maximum l’anonymat des victimes qui témoignent ». Par exemple, une des victimes présentes dans le podcast se fait appeler Hélène, et sa voix est modifiée, afin qu’on ne puisse pas la reconnaître. 

Mais les deux journalistes ne se sont pas arrêtées aux témoignages des victimes. Elles se sont rendues jusqu’aux plus hautes sphères du judaïsme orthodoxe en France : le premier rabbin, et le président du consistoire. « L’institution peut changer, et pour les victimes ça va faire du bien d’entendre ce qu’ils pensent de ces témoignages », souligne Lila Berdugo. Suite à leur venue, le consistoire central a mis en place, à l’été 2022, une commission poussée par des lanceurs d’alertes, pour dénoncer les rabbins qui auraient commis des violences sexuelles. Le premier rabbin promet quant à lui de condamner plus sévèrement ceux qui commettraient de tels actes à l’avenir.

Théo Boissonneau