avril 04

Communiquer sur les réseaux sociaux pour attirer les jeunes, un pari réussi ?

Les politiques veulent chercher les jeunes là où ils s’informent et partagent : les réseaux sociaux. Ils multiplient les techniques d’approche auprès d’eux et développent leurs moyens de communication. Séduire pour se faire élire, tel est le maître-mot des politiques.

Le président de la République Emmanuel Macron, accompagné des Youtubeurs Mcfly et Carlito, pour la vidéo “Concours d’anecdotes”, le 23 mai 2021.

Facebook, Twitter TikTok et maintenant Twitch : les réseaux sociaux sont aujourd’hui une source de communication et de diffusion compétentes à très grande échelle. Selon un sondage de “La social room”, la France a rassemblé en 2022, 53,5 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux et les Français ont consacré en moyenne plus d’une heure par jour sur ces plateformes. Les politiques l’ont très bien compris, à gauche comme à droite, les représentants de chaque parti ont fait de ces médias sociaux un outil clé dans leur communication politique. L’ancien temps où la communication publique et politique ne passait que par les médias institutionnels semble être révolu. Jean Luc Mélenchon, Eric Zemmour ou encore Emmanuel Macron, tous apprécient la proximité directe et rapide que permettent ces supports sociaux. Par ailleurs, ces même politiques s’entourent aussi de plus en plus d’équipes de campagne jeunes, parfois extérieures au monde politique, mais connaissant parfaitement les codes des réseaux sociaux. C’est le cas de l’actuel président de la République qui lors des dernières élections présidentielles s’est entouré de Domitille Fafin, ancienne vice-présidente chargée de la communication externe du groupe L’Oréal France. Elle a géré la communication de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron. 

Selon Antoine Leaument, député insoumis et ancien responsable de la communication numérique de Jean-Luc Mélenchon, les politiques cherchent principalement au travers de ces outils numériques une plus grande “ liberté de parole, de thème et du temps en plus pour pouvoir exprimer leurs pensées”. Un temps qui est souvent chronométré et encadré à la télévision et dans les médias institutionnels. 

Emmanuel Macron est le candidat le plus suivi sur les réseaux sociaux avec 21,107 millions d’abonnés sur tous les réseaux confondus. Graphique : FAVIKON / LES ECHOS

Les influenceurs pour accrocher les jeunes

Rien de mieux pour inciter les jeunes à voter que d’aller les chercher directement sur leurs médias de prédilection. Instagram, Snapchat et Tiktok sont les réseaux sociaux les plus utilisés par les 16-25 ans, selon Diplomeo. Ces derniers constituent donc une clé de la communication et de la diffusion d’opinions pour les politiciens. Le fait de jongler entre ces réseaux sociaux donne aux politiques une image plus moderne et donne l’impression de pouvoir dialoguer directement avec eux, notamment grâce aux commentaires.

Certains ont vu leur succès s’accroître en réalisant des vidéos amusantes avec des personnalités publiques du moment. C’est le cas d’Emmanuel Macron avec les Youtubeurs McFly et Carlito. L’apparition du président de la République dans cette vidéo lui a permis de se montrer sous un angle moins formel, plus décalé. Emmanuel Macron utilise des “punchlines”, un langage plus familier et un ton humoristique qui lui permet de se rapprocher des jeunes, notamment en racontant des anecdotes personnelles. Un mois après cette vidéo, la cote de popularité du président a gagné deux points. Pendant la crise sanitaire, en 2019, le président français était également présent sur le réseau TikTok, où il a mis en place un système de « question-réponse », lui permettant de répondre aux questions des français. Dans une tenue décontractée, cela nous donne l’impression de parler à quelqu’un tout à fait banal, comme si notre influenceur préféré répondait à nos questions. À travers ces vidéos qui vulgarisent l’actualité politique, des créateurs de contenus rendent la politique plus accessible aux jeunes, peu importe leur classe sociale. “Je pense que même si on ne connait rien en politique, ce sont des vidéos qui racontent assez bien ce qu’il se passe, c’est dynamique et accessible. Je préfère m’informer avec ce type de vidéos plutôt que de regarder le journal télévisé”, affirme Margaux, 21 ans.

Jean-Luc Mélenchon est qualifié par plusieurs journaux de « roi des réseaux ». Le politicien conçoit une grande partie de sa campagne sur les réseaux sociaux. Il a rediffusé plusieurs meetings sur Facebook, Youtube et Twitch, lui permettant de passer de 3 000 à 300 000 spectateurs. Politicien à la pointe des réseaux sociaux, il devance Emmanuel Macron ainsi que Marine Le Pen sur Youtube, grâce à sa chaîne qui compte plus de 730 000 abonnés. Également, Jean-Baptiste Djebbari, l’ancien ministre des transports, semble avoir bien compris comment toucher le jeune public. Avec son humour et son autodérision, le ministre comptabilise plus de 1,1 million d’abonnés sur Tiktok. Il utilise la plateforme pour partager les nouveaux projets du gouvernement. Et à en voir les commentaires, de nombreux jeunes trouvent cette initiative très bonne et amusante, ce qui permet aussi de redorer l’image du gouvernement : “Il fait des montages mieux que nous”, “La meilleure com du quinquennat ! ”, “Incroyable ce mec”

Dans une période marquée par les débats sur la réforme des retraites, il peut parfois être compliqué de s’y retrouver et de comprendre ce qu’il se passe réellement. Alors pour beaucoup, Hugo Décrypte est  “la personne vers qui se tourner”. C’est ce qu’explique Arthur, étudiant en psychologie : “Entre 49.3, proposition de loi, et amendements, je ne comprenais plus rien. Grâce aux nombreux Tiktoks que j’ai regardé et les vidéos d’Hugo Décrypte, j’ai pu comprendre l’enjeu de la réforme des retraites et tout ce qu’il se passait à l’Assemblée Nationale, sinon ça aurait été très compliqué”. 

Une jeunesse réellement vulnérable ? 

Mais les jeunes ne se laissent pas tous influencer. Ils se font leur propre opinion face aux nouvelles tentatives de communication des hommes politiques. C’est le cas de Kheïra, 18 ans : “Moi, je ne les suis pas sur les réseaux. Ils veulent se faire passer pour des jeunes, nos amis, alors qu’il y a quand même une distance à faire je pense”. Et cette vision ressort aussi dans d’autres discours : “Ils passent pour des personnes moins professionnelles. Pour moi, ils ne pourront jamais suivre les tendances des réseaux de manière aussi nonchalante que nous, et les tendances ne seront jamais faites pour les réseaux.”, ajoute Guillaume, 17 ans. Des personnages politiques devenus presque trop informels pour être pris au sérieux. 

Les jeunes sont devenus un réel enjeu pour les politiques, un électorat potentiel puisque 70 % des moins de 35 ans n’ont pas voté aux dernières élections législatives, selon l’INSEE. Mais les lycéens interrogés ont l’impression de se faire manipuler avec ce nouveau mode de communication et se sentent sous-estimés : “ Bien que ça reste un bon moyen pour eux de se moderniser, on sent qu’ils cherchent juste à augmenter leurs voix. Comme s’ils venaient piquer dans les foules les plus vulnérables“, répond Théo, 17 ans. Lorsque Jean-Baptiste Djebbari s’était moqué de Valérie Pécresse dans certains de ses Tiktok, la nouvelle génération avait bien compris la stratégie de manipulation du ministre des transports. Sur les réseaux sociaux, là où tout le monde partage son avis, il devient alors difficile de différencier opinion et information, en particulier chez les politiques. C’est ce que nous explique Léonie, 18 ans : “Lorsque ça vient à la politique, on ne peut pas le présenter comme un documentaire, une information. Ça doit garder le statut d’une opinion politique”. Malgré cette possible confusion, les jeunes interrogés nous ont montrés qu’ils restaient vigilants face à cette forme de communication.

Les limites des réseaux sociaux

Si de plus en plus de personnalités politiques franchissent le pas et se tournent vers ces réseaux sociaux, ils peuvent potentiellement mettre leur image en danger selon Arnaud Benedetti. Dans une interview réalisée par Franceinfo le 11 janvier 2020, il explique que le risque, en utilisant ces plateformes « de manière très active » serait « de voir un peu plus l’image des hommes politiques désacralisée par une partie de l’opinion publique », a-t-il déclaré. Vouloir émerger et interagir dans tous les réseaux sociaux peut également être contre-productif si les codes de chaque réseau social ne sont pas maîtrisés. Une communication mal produite peut vite mener à être la risée des utilisateurs et créer une ouverture aux adversaires politiques. Une seule petite “gaffe”, ou alors une simple phrase sortie de son contexte peut rapidement se propager sur Internet, faire l’objet de montages dégradants.   

Parfois, les hommes politiques ne se détachent pas assez de leur cadre conventionnel et échouent dans leur objectif de séduction des jeunes. L’interview de Gabriel Attal au sujet de la précarité étudiante, faite par la célèbre youtubeuse Enjoy Phoenix, a fait réagir. Le porte-parole du gouvernement (au moment de l’interview), est assis dans un bureau de l’Elysée, en costard, dans un décor luxueux, ce qui ajoute une barrière avec les “viewers”. 

La pertinence des questions posées est remise en question. La youtubeuse est-elle assez formée et expérimentée ? Beaucoup de polémiques ont éclaté à la suite de la publication de la vidéo. Des étudiants dénoncent alors le fait qu’inviter des influenceurs n’était pas la meilleure des choses à faire, car ils ne vivent pas le quotidien des étudiants. Ils regrettent le fait qu’aucun étudiant n’ait été invité pour témoigner de la réalité de leur vie. 

Théo Boissonneau, Lili-Jeanne Bluteau, Nafida Abdillah, Chloé Bach Chaouch, Faustine Bassac