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Le scandale du « pig butchering » : les escrocs sont-ils des victimes ?
Les auteurs d’arnaques ciblées sur les réseaux sociaux s’avèrent être, eux aussi, les victimes d’un système qui les dépasse et les contrôle. La BBC a dévoilé que les utilisateurs de l’arnaque du « pig butchering » sont retenus dans des complexes, et maltraités si pas assez productifs aux yeux de leurs « maîtres ».

Les personnes visées par les arnaques ne sont plus les seules victimes apparentes : les lanceurs d’arnaques en font également partie. Au Cambodge, des bandes criminelles font entrer des ressortissants chinois et d’Asie du Sud-Est pour les faire travailler en tant qu’escrocs. Leur mission, au sein de ces « complexes d’escrocs », est de rapporter le plus d’argent possible à leur « maître ». BBC News a mis en image cette situation dans son documentaire « The Pig Butchering Romance Scam », disponible sur BBC IPlayer depuis le 3 mars.
Les « dogs », comme ils sont appelés là-bas, sont enfermés dans d’immenses dortoirs dont les fenêtres sont bloquées par des barreaux de fer. Ils sont contraints de travailler 14 heures par jour pour escroquer des victimes du monde entier. Si leur travail n’est pas jugé suffisant, ils sont battus et affamés.
Les conditions de vies de ces hommes et l’identité du groupe sont supposées cachées. Certains ont réussi à s’échapper et à partager des photos et vidéos de leur quotidien. On y voit des travailleurs menottés, battus à coups de bâton et attaqués au taser. Il arrive que l’entreprise expulse des travailleurs malades d’un complexe. C’est le cas pour un ancien « dog » qui a été reçu à l’hôpital, squelettique, quelques heures avant sa mort. Les Nations Unies ont qualifié ces conditions d’ « enfer ».
Un rêve qui tourne au cauchemar
Pour recruter de nouveaux « dogs », l’entreprise leur fait d’abord la promesse d’une « vie meilleure, en leur offrant un emploi. Le profil des victimes est généralement le même : des personnes en recherche d’un emploi depuis un certain temps, et en manque de ressources économiques. Les victimes voient cette offre comme l’opportunité parfaite, et font souvent confiance à leurs interlocuteurs.
C’est à partir de là que le trafic d’être humains commencent. Les hommes sont menacés par des individus armés, et sont envoyés, contre leur gré, dans d’autres villes, pour être commercialisés. Pour la plupart, il s’agit de la ville de Sihanoukville au Cambodge, dont les casinos sont soupçonnés de couvrir des activités criminelles.
Des témoignages violents
Dans le documentaire de la BBC, un homme témoigne anonymement de son histoire : « Nous sommes venus à trois au Cambodge. L’un a disparu, l’autre a reçu huit balles et est mort ». Anciennement « chef » au sein d’un complexe, il montre des photos de son corps meurtri, après avoir demandé une augmentation de salaire. « Enfreindre les règles de l’entreprise est grave. Si vous avez de la chance, vous ne pourrez pas sortir du lit pendant deux semaines. Ou pire, on peut se casser le bras ou la jambe. L’entreprise engage des voyous pour le faire » déclare-t-il.

Le documentaire suit également Didi, qui a pu s’échapper d’un complexe à Sihanoukville, avec l’aide d’une unité spéciale de Singapour. Dans les nombreuses images qu’il a partagées, des vidéos laissent entendre ses sentiments de l’époque : « un membre de mon équipe a commis une erreur. Il a été battu devant tout le monde, puis traîné hors du bureau. C’est bouleversant de voir ça, je ne sais pas si je serai le prochain » murmurait-il.
La technique du « pig butchering »
Les anciens « dog » qui sont parvenus à s’évader ont révélé les techniques de l’entreprise : les personnes qu’ils choisissent d’arnaquer sont appelés « pigs ». Le « pig butchering » est une manière d’arnaquer qui suit une logique « d’engraissement » de la cible, en créant un climat de confiance pour récupérer encore plus d’argent. Les victimes sont très souvent dans l’une des périodes les plus vulnérables de leur vie. Il devient plus simple de les « charmer » en passant pour un « ami miracle », venu les réconforter.
Les escrocs utilisent les photos de profils préexistants, souvent de mannequins asiatiques, et contactent leur cible sur les réseaux sociaux. L’ancien « chef » anonyme explique à la BBC : « Vous n’imaginez pas à quel point ces escrocs peuvent être brillants. Si je prétends être une superstar, je pourrais être lui… Il existe un logiciel spécifique pour faire cela ».
Au bout de plusieurs jours d’échanges réguliers, les arnaqueurs persuadent leur victime de faire de petits investissements en crypto-monnaie. Ces investissements rapportent beaucoup aux victimes sur le long terme, mais quand elles essaient de retirer l’argent obtenu, le site affiche un message d’erreur. Il arrive aussi qu’il soit demandé à l’utilisateur de payer d’abord l’impôt sur le revenu, des frais de traitement supplémentaires, des frais de transaction internationale, etc.
Un type d’arnaque très répandu
Le FBI a rendu son rapport annuel du Internet Crime Complaint Center (IC3). Il démontre qu’en 2022 la technique du « pig butchering » a été la forme de crime cyber la plus utilisée. L’année dernière, l’ensemble des arnaques ont mené à la perte de 3.3 billions de dollars.
Audrey De Quina