avril 12

Méga-bassines : la guerre de l’eau

Alors que le week-end dernier a été ponctué par de violents affrontements à Sainte-Soline dans les Deux Sèvres lors du rassemblement interdit des opposants au projet de méga-bassine, deux visions de la gestion de l’eau dans le monde de l’agriculture s’opposent.

Une retenue d’eau de Mauzé-sur-le-Mignon (Deux-Sèvres) est pour l’instant la seule infrastructure de la Coop de l’eau mise en service.

Dans le contexte du réchauffement climatique et en cette période de sécheresse historique, l’eau devient une denrée précieuse. L’opposition aux méga bassines d’une partie des agriculteurs notamment écologistes peut surprendre car cette réserve d’eau est destinée à l’irrigation agricole. Sainte Soline fait partie d’un projet de construction de 16 méga-bassines pouvant accueillir jusqu’à 650 000 m3 d’eau. Ce projet décidé en 2018 a été voulu par un groupe de 400 agriculteurs réunis au sein d’une coopérative, la Coop de l’eau pour pallier le manque d’eau. 230 exploitations pourront profiter de la retenue d’eau de Sainte Soline, retenue de substitution financée à 70 % par de l’argent public.

L’agriculture familiale face à l’agro-industrie

Pour les soutiens de ce projet, Il s’agit de gérer la ressource de façon plus durable en stockant de l’eau pompée l’hiver dans les nappes phréatiques et les cours d’eau voisins pour une utilisation l’été, en période de sécheresse et de restriction d’eau. Pour accéder à l’eau, les irrigants doivent en contrepartie recourir à moins de pesticides, planter des haies ou créer des frayères dans les rivières. Le collectif « Bassines Non merci » rassemblant des organisations syndicales comme la Confédération paysanne, des associations environnementales et des groupes anticapitalistes dénonce un accaparement de l’eau par l’agro-industrie. Cette eau serait essentiellement destinée à l’irrigation de cultures intensives, à un petit groupe d’agriculteurs bien que le projet soit financé en grande partie par l’État. Les opposants réclament une agriculture raisonnée. Il faut cultiver des espèces mieux adaptées à la sécheresse comme le sorgho à la place du maïs et utiliser des techniques pour maintenir les sols humides. Ils dénoncent aussi le fait que l’eau utilisée serve essentiellement à des cultures destinées à l’alimentation animale. 2 % seulement servirait à l’alimentation humaine. Pour eux, cette bataille de l’eau ne concerne pas que les agriculteurs car les périodes de sécheresse étant de plus en plus fréquentes et longues, la mise en place de mesures de restriction pour tous est monnaie courante. Or paradoxalement les bassines sont tout de même remplies.

Des spécialistes dubitatifs et inquiets

L’hydrologue Emma Haziza sur RTL a constaté que là où il y a des bassines, les restrictions d’eau sont posées de plus ne plus tôt dans l’année. De même, de nombreux spécialistes dénoncent ce projet. Le géologue Dominique Frizon de Lamotte évoque même dans la Gazette du Val d’Oise de possibles conséquences sur l’environnement provoquant un dérèglement écologique potentiel de la distribution naturelle pour les terres voisines et l’assèchement des cours d’eau. Pour lui, « L’eau doit rester à sa place naturelle, dans la nappe phréatique ». Même le GIEC, dans son 6ème rapport en 2021 évoque au-delà du coût des infrastructures, les impacts négatifs sur l’environnement et le fait que ces méga-bassines ne seront pas suffisantes en cas de fortes augmentations des températures. Faire des réserves l’hiver ne suffit pas. Et l’été, lorsqu’il fait chaud, des algues et des bactéries se développent à la surface de l’eau, sa qualité en est altérée.Les agriculteurs ont besoin d’aide car derrière cette lutte se cache un combat entre agriculture familiale et agriculture intensive et la crainte de manquer d’eau. Ils espéraient beaucoup dans le Plan Eau présenté jeudi 30/03 par Emmanuel Macron. Le président a annoncé 53 mesures en indiquant qu’il souhaitait un meilleur encadrement et un meilleur partage des méga- bassines sans toutefois remettre en question l’existence des retenues d’eau. Il a évoqué la nécessité de « mesures significatives » comme les économies d’eau et l’usage modéré des pesticides. 

Une guerre de l’eau qui ne fait que commencer

Cette annonce sera certainement loin de satisfaire les opposants aux méga-bassines alors que la guerre de l’eau a été synonyme de fortes tensions ce week-end, à Sainte- Soline, les violents affrontements éclipsent le débat sur le partage de l’eau. Au moins 6000 personnes ont convergé vers le site pour stopper la construction de la bassine. Face à eux, plus de 3000 gendarmes et policiers étaient présents pour défendre le site en raison de la présence « d’au moins un millier d’activistes violents ». L’endroit s’est transformé en scène de guerre avec à la clé un lourd bilan, plus de 200 blessés chez les manifestants dont 40 grièvement ainsi que 47 blessés chez les forces de l’ordre. Dans le contexte du réchauffement climatique, Sainte-Soline apparaît comme une bataille dans une guerre de l’eau qui ne fait que commencer.

Laura Khil