avril 15

Gymnastique : quand les athlètes mettent des mots sur leurs maux

Des gymnastes françaises souffrent, face à une fédération obnubilée par l’exigence de performance et le culte du physique idéal

Depuis près d’un an de nombreuses gymnastes dénoncent divers faits de maltraitance, dans le monde entier. En France, un procès a eu lieu vendredi 31 mars. 5 ex-gymnastes du pôle de Marseille accusent leurs anciens entraîneurs de harcèlement moral. En 2021, un rapport accablant a été publié concernant le harcèlement au sein de la fédération australienne de gym. «Pendant longtemps, on n’en a pas parlé, car c‘était culturel dans le haut niveau mais que, et c’est ça qui est dramatique. Il y a un changement qui s’opère, mais qui n’est peut-être pas assez rapide avec le changement sociétal. Avant cela ne choquait pas, aujourd’hui, ce n’est plus le cas. On est en pleine mutation.», témoigne Nadia Massé, ex-entraîneur du pôle de Dijon. 

Dès sa formation pour devenir entraîneur, elle explique avoir assisté à des méthodes outrageantes. «J’ai vu des insultes, des entraîneurs qui perdent patience.» En mai 2022, des gymnastes canadiennes ont lancé une action en justice contre leur fédération à propos des violences au sein des clubs. Le mois suivant, une enquête indépendante a réuni 400 témoignages de gymnastes britanniques ayant subi des maltraitances. Ces langues qui se délient, déclenchent une véritable révolution face à une “culture toxique”, et passée sous silence. Révolution qui a débuté en 2018, avec le scandale Narry Lassar, ex-médecin de l’équipe nationale des Etats-Unis, condamné pour avoir agressé sexuellement plus de 265 gymnastes. 

Selon Nadia Massé, le dénigrement et l’autoritarisme sont motivés par la soif de victoire des coachs. «Ils pensent qu’en faisant comme ça, il y aura plus de résultat. Ils ont peur que le changement de méthodes les éloignent de la médaille.» Le succès de l’URSS et de la Roumanie des années 60 aux années 80, avec un coaching militaire et un management de la terreur est resté comme la preuve de la méthode la plus efficace dans l’esprit de beaucoup d’entraîneurs. « L’ancienne génération d’entraineur avaient comme modèle les pays en dictature. Il y avait une volonté de réussir, et donc de leur ressembler. », affirme-t-elle. 

“T’es grosse, c’est pour ça que tu ne sais pas faire de gym”

La gymnastique est un sport où la carrière commence tôt. L’entrée en structure de haut niveau se fait vers l’âge de 12 ans. Ce qui favorise la normalisation de ces maltraitances. «On commence très jeune, on est baigné dedans depuis toujours, donc on ne s’en rend pas compte tant qu’on est dedans.», explique Camille Bahl, ex-membre de l’équipe de France durant 5 ans. La jeune femme a été victime de violences psychologiques. «Quand on a mal, on ne doit rien dire, quand on est blessé, on ne doit rien dire. On nous retourne le cerveau, à nous dire qu’avoir une cheville en deux, c’est normal. “Faut que tu continues sinon t’es une chochotte !”», raconte-t-elle. Les remarques sur son poids ont également fait partie intégrante de sa carrière. «J’avais des pesées tous les jours, voire plusieurs fois par jour, des remarques sur mon poids, de manière très très péjorative. “T’es grosse, c’est pour ça que tu ne sais pas faire de gym, c’est pour ça que tu te blesses, tu ne peux t’en vouloir qu’à toi-même”». 

“On se levait avant les entraîneurs pour pouvoir manger, on crevait la dalle”

La faim constante a marqué la carrière de Morgane Detrez, ex-pensionnaire du pôle de Saint-Etienne. «J’avais 13 ans, je pesais 38 kilos, on m’a dit “T’es une grosse vache, c’est pour ça que t’arrives pas à te soulever”». Les faibles denrées alimentaires durant le stage ont amené les gymnastes à développer des techniques pour se nourrir et tenir. «On prenait des valises à double fond pour cacher de la nourriture dedans. Quand je rentrais, j’avais perdu 4 kilos. Le matin, on se levait avant les entraîneurs pour pouvoir manger, on crevait la dalle, donc on se gavait.», témoigne Morgane. A cela s’ajoute de la maltraitance physique et psychologique pour l’actuelle étudiante. «“T’es qu’une merde, t’es qu’une bonne à rien, tu vas rien faire de ta vie”. On m’a enfermé dans un bureau pendant 4 heures, on m’a insulté, tiré les cheveux.» 

Une fédération qui banalise les maltraitances

L’ ancienne gymnaste tricolore témoigne d’une culture du silence générée par la fédération. «C’est secret et caché par la fédération où par certaines gymnastes pour garder leur place.» Cette pression de la fédération est la raison principale pour laquelle les gymnastes ne parlent pas durant leur carrière. «C’est toute notre vie, on ne se voit pas dire non, par peur de se faire jeter de l’équipe donc on l’accepte.», affirme Camille Bahl. «Quand on est dans le circuit, la mentalité c’est “Je ne vais rien dire sinon on va me jeter”», ajoute-t-elle. Cette culture de la maltraitance vient du haut de la hiérarchie de la fédération. Un problème que cette dernière entretient en interne, avec un fonctionnement qu’on pourrait qualifier de sectaire. «Il fallait que rien ne se sache, tout se passait en interne. Les responsables, anciennement entraineurs, pratiquaient cela. Dans les pôles, il y a le groupe des grosses, le groupe des poubelles.», affirme Nadia Massé. «Certaines personnes sont dans le déni, et font semblant que ça ne se passe pas.». Un système qui pourrait être qualifié de dictatorial. «Ils savent tout, mais ferment les yeux, ils ne diront jamais rien. Ils veulent juste des gens qui ne disent rien, qui ne les critiquent pas», explique Morgane. Nadia Massé a été licenciée pour motif économique en 2018, requalifié en licenciement abusif en 2022. «La fédération, c’est diviser pour mieux régner. Ce qui dérangeait, c’est que je disais toujours ce que je pensais. Dès qu’on parle des choses qui ne vont pas, on passe pour des traites.», déplore l’entraîneur.

VEILLAS Flavie