mai 09

Politique : Rennes peut-elle devenir la capitale de la révolte étudiante ?

À chaque épisode de manifestation, Rennes figure parmi les villes les plus médiatisées. Blocus, défilés, les étudiants rennais sont de plus en plus nombreux à se mobiliser. Avec les récentes protestations contre la réforme de retraites, Rennes pourrait-elle devenir l’un des emblèmes de la contestation étudiante en France ?

Une manifestation d’étudiants, contre la réforme des retraites, à Rennes, à la suite de l’annonce du 49.3, le 17 mars. Photo : Louise Quignon pour Libération

Depuis janvier 2023, la ville de Rennes s’est faite remarquer par ses importants cortèges qui ne cessent de faiblir. Au total, ce sont plus de 21 000 personnes en moyenne, qui se sont mobilisées chaque semaine dans la grande métropole selon l’AFP, dont  un tiers d’entre elles seraient des jeunes d’après Franceinfo. Selon le procureur de la République de Rennes, Philippe Astruc, la commune est aujourd’hui “l’un des épicentres de la contestation des mouvements sociaux”, déclare-t-il sur TF1 info le 17 avril. Pour Romain Pasquier, politologue et directeur de recherche au CNRS, ces cortèges très importants s’expliquent notamment par « un attachement très fort à la justice sociale », comme il l’affirme dans une interview pour le Télégramme le 15 avril. La commune du Nord-Ouest de la France possède également une forte population jeune. Selon l’INSEE, en 2017, les 16-29 ans représentaient 25,5 % de la population rennaise. Cette jeunesse est largement politisée, notamment dans son université Rennes II. Surnommé “Rennes II la rouge”, cette faculté de sciences sociales draine de longue date dans son sillage l’image d’une université revendicative s’affirmant à chaque mouvement social comme partie prenante des manifestations contre des réformes considérées par les étudiants comme “injustes et inégalitaires”. C’est ce qu’affirme Ema, 22 ans : “On est fiers de représenter une ville aussi engagée quand on descend les rues et qu’on est toute une foule.”

La commune du Nord-ouest de la France a souvent été en première ligne des mouvements sociaux ayant marqué le pays. Comme le mouvement contre le projet de loi instituant le contrat première embauche qui avait donné lieu en 2006 à d’impressionnantes manifestations notamment chez la jeune génération. 

Rennes 2, une faculté qui se mobilise

Depuis 1970, les étudiants Rennais sont séparés entre deux pôles universitaires. Si Rennes 1 possède plus d’étudiants que Rennes 2 (26 850 contre 17 830), c’est pourtant la seconde qui fait le plus de bruit. Dans les médias, elle illustre souvent des épisodes de manifestations étudiantes, avec un nombre important d’étudiants grévistes. Mais pourquoi une telle mobilisation existe-t-elle à Rennes 2 et non à Rennes 1 ? Hugo Melchior, spécialiste des mouvements étudiants de l’extrême gauche, s’exprimait à ce sujet sur France Culture le 29 mars. Selon lui, cette différence s’explique par une histoire et une appartenance politique propre à Rennes 2 : “c’est une université beaucoup plus populaire, relativement marginale”. Mais cette situation n’existe pas seulement à Rennes. À Toulouse par exemple, beaucoup plus de manifestations ont lieu à la faculté du Mirail qu’à l’université Paul Sabatier. Et au Mirail comme à Rennes 2, les jeunes qui se mobilisent étudient les sciences humaines : la sociologie et l’histoire notamment. Ils donnent ainsi plus d’importance aux manifestations, et se regroupent pour la plupart au sein de syndicats de gauche. L’Union Pirate est l’un d’entre eux, et il est majoritaire à Rennes 2. Créé le 7 juillet 2021, il  est le descendant de l’Armée de Dumbledore. Cette “armée” créée par des étudiants, avait pour but de concurrencer les forces syndicales traditionnelles, notamment l’Union nationale des étudiants de France. En 2015, le nouveau syndicat finit deuxième des élections étudiantes à Rennes 2. Lors des dernières élections au conseil d’administration de Rennes 2, Union Pirate a été élu avec 65 % des voix des étudiants. “Il faut reconnaître le pouvoir que possèdent ces associations et nous en sommes légitimes” affirme Antonin. 

Pour Hugo Melchior, ce syndicat séduit les étudiants car “il incarne une forme de radicalité concrète”, en étant “très investi dans les luttes [sociales]”, mais aussi “électoraliste”. Il propose une démocratie directe, qui fait en sorte que les mesures proposées et votées par les étudiants soient mises en place au plus vite par l’université. Beaucoup de syndicats se créent alors pour permettre aux jeunes de se mobiliser. C’est le cas d’Union Pirate Lycéenne, qui a vu le jour en décembre 2022, en lien avec le syndicat Union Pirate à Rennes 2. Pour Antonin, le co-fondateur, la naissance de cette association était essentielle : “il y a avait beaucoup de jeunes qui avaient envie de se mobiliser mais il manquait la structure à laquelle se rattacher. Il était nécessaire de créer cette organisation pour eux”. Indépendant des syndicats traditionnels, l’Union Pirate est cependant très liée à La France Insoumise. Fabien Caillé, l’un des créateurs de l’Armée de Dumbledore, est aujourd’hui l’un des collaborateurs parlementaires du député insoumis Louis Boyard. 

Des hommes politiques à Rennes à la quête des voix de la jeunesse 

Certaines personnalités politiques ont profité de ces mouvements contestataires pour se rapprocher des jeunes et gagner des voix. C’est le cas du député insoumis du Val-de-Marne Louis Boyard. Il a fait plusieurs expositions publiques à l’université Rennes 2, invité notamment en février dernier par le syndicat étudiant majoritaire de l’université, Union Pirate. Le député de la France Insoumise a organisé une réunion publique sur ”La révolte de la jeunesse”. À en voir les photos et vidéos publiées sur les réseaux sociaux, le député de 23 ans est applaudi et supporté par les étudiants. Ces derniers ont notamment décidé de bloquer l’université, pour manifester contre la réforme des retraites. Toujours sous l’œil attentif du député qui n’hésite pas à republier des vidéos sur ses comptes Tik Tok et Twitter.

Louis Boyard a tenu un discours devant les étudiants de Rennes 2, le lundi 6 février 2023. Il a ensuite appelé au blocage de l’université. Photo :  (Le Télégramme/Juliette Le Guigo)

Des Rennais présents partout, jusque sur les réseaux sociaux 

Les jeunes veulent montrer leurs revendications et leur présence au sein des manifestations. Celles-ci se déroulent donc aussi bien dans les rues de Rennes que sur les réseaux sociaux. Facebook, Tik Tok, Telegram ou encore Twitter sont devenus de réels vecteurs de connexion entre les manifestants. L’utilisation de ces plateformes leur permet de créer toutes sortes de contenus visant à accroître le public visé. Affiches, appels à la manifestation ou encore communiqués de presse, les jeunes Rennais mettent tout en œuvre pour faire porter leur voix. Sur Twitter, des comptes au nom de “Contre Attaque”, “Maison du Peuple”, Assemblée Générale Rennes 2appellent les jeunes rennais à se mobiliser, notamment au sein de leurs universités et lycées. Leur but est “d’organiser les révoltes et documenter les luttes” comme nous pouvons le lire sur leurs comptes Twitter. “Depuis quelques mois on est ultra mobilisés, nous sommes présents partout. On filme nos actions afin d’appeler des étudiants à nous rejoindre et faire entendre nos revendications” explique Antonin, lycéen à Zola à Rennes. 

Des images choquantes de CRS repoussant la foule, des manifestants à terre ou encore des bâtiments enflammés : ce sont les éléments exposés par ces meneurs sur les réseaux sociaux. Ces comptes informent leurs partisans avec des dates, des lieux, et des actions précises : la mise en place de blocages économiques ou encore des envahissements dans les centres commerciaux. Ces actions sont ensuite diffusées sur les réseaux sociaux. Et l’utilisation des hashtags #manifestation, #greves, #Rennes, permettent de créer de la visibilité entre tous les manifestants de France pour ainsi observer les avancées dans leur combat. Rennes devient alors rapidement le centre de tous ces hashtags.

“Il y a une vrai solidarité entre les Rennais, on veut montrer qu’on est là”

Pour essayer de faire entendre leurs voix, à Rennes, la désormais célèbre “chenille” fait surface. Elle est devenue une nouvelle tradition pour la jeune génération face aux policiers. Ces manifestants défilent les uns derrière les autres sur un fond musical dans la joie. Elle a été vue pour la première fois en manifestation contre la réforme des retraites, le jeudi 6 avril 2023 et fait désormais le tour des médias et réseaux sociaux. Depuis, les manifestants qui ont vu l’écho qu’elle avait, s’en saisissent pour animer les rassemblements. Un moyen pour eux de montrer que le mouvement contestataire ne se fait pas uniquement dans la violence. “On les a vus faire la chenille devant les policiers lors de l’allocution de Macron. Il y a une vraie solidarité entre les Rennais, on veut montrer qu’on est là” déclare Mathieu, 22 ans, présent dans les cortèges. Les médias locaux Actu.rennes, Ouest France, le Télégramme et France Bleu Armorique se sont emparés de ce mouvement qui est devenu une spécialité rennaise.

Le 17 avril, la chenille Rennaise s’est emparé des rues de la ville pour protester contre la réforme de retraites et apporter de la bonne humeur dans des manifestations parfois violentes. (Photo : Hugo Murtas / Rennes Actu)

Une université qui manifeste, des étudiants qui protestent 

Les étudiants de Rennes 2 se mobilisent alors massivement lors des manifestations, notamment en bloquant leur université. Mais cela ne signifie pas que tous les étudiants sont en faveur de ces blocus. En novembre 2007, la loi Pécresse donnant plus d’autonomie aux universités avait créé un conflit à Rennes 2, entre les étudiants en faveur, et ceux contre un blocus de l’université. Un vote entre tous les étudiants avait révélé que 62% d’entre eux étaient pour la réouverture de l’école. “Je n’étais pas d’accord avec toutes ces manifestations, c’est intolérable de ne pas laisser les gens aller étudier” déclare Célia, étudiante à Rennes 2. Pourtant, le blocus s’était poursuivi, dans l’irrespect du choix de la majorité. Quelque 300 manifestants étaient parvenus en occupant les lieux jour et nuit à empêcher 20 000 personnes d’étudier. “On a le droit d’aller en cours”, “on est là pour étudier pas pour faire grève”, déploraient pour Documentaire Société, deux étudiantes contraintes de ne pas pouvoir se rendre en cours. “Pas de fac d’élite, pas de fac poubelle, à bas les facs concurrentielles” scandaient les manifestants, en pointant la concurrence, et la différente considération qui persiste depuis plus de 50 ans entre Rennes 1 et Rennes 2. Au total, les cours avaient été interrompus durant 10 jours. Antonin, le co-fondateur d’Union Pirate Lycéenne, nous confiait que “récemment, Rennes 2 avait été fermé les jours de manifestations, pour que justement les étudiants puissent aller manifester”. Cette fois-ci encore, certains étudiants oubliés ont subi le blocus, ne pouvant se rendre normalement en cours. “C’est impossible d’étudier dans de telles conditions, l’université est constamment bloquée et rien n’est fait” s’indigne Lucas. 


Alors même si certains sont contre ces manifestations, pour beaucoup d’étudiants, Rennes est une ville symbole de la rébellion étudiante. C’est le cas de Juliette, étudiante en Psychologie “On est hyper actifs, il y a des actions au moins deux fois par semaine avec énormément de jeunes. Je pense que Rennes pourrait être la capitale de la révolte étudiante en France”. Antonin partage le même avis et pour lui Rennes devrait devenir un exemple à suivre : “Il y a énormément de manifestations à Rennes et c’est génial. Mais je pense qu’il faut que les autres villes prennent exemple et qu’elles regardent Rennes comme un idéal à suivre dans l’implication des jeunes lors des manifestations.”

 Faustine Bassac, Théo Boissonneau, Chloé Bach Chaouch, Lili-Jeanne Bluteau, Nafida Abdillah