Colère des agriculteurs : la profession toujours dans l’attente des aides promises

Le début d’année a été marqué par les manifestations agricoles, partout en France. En janvier dernier, le premier ministre Gabriel Attal s’est engagé à trouver des solutions durables pour apaiser la crise. Aujourd’hui, les agriculteurs et les syndicats de la profession restent mobilisés face à des mesures qui n’ont pas convaincu.  

Deux fois par jour, Cyril Vagner trait ses vaches. Prise le 24 mars 2024. Photo Célia Réunif

C’était un message “reçu cinq sur cinq » par Gabriel Attal, à Montastruc-de-Salies en Haute-Garonne. Après plusieurs semaines de manifestations, la colère des agriculteurs a été entendue par le gouvernement, prêt à proposer des solutions efficaces pour sortir de cette crise. Le 26 janvier dernier, le premier ministre énumérait 10 mesures de simplification immédiate à Matignon.

  • Délai de recours raccourci à deux mois (au lieu de quatre) contre des projets controversés d’installations agricoles 
  • Accélération des procédures de recours pour éviter de nouveaux blocages 
  • Création d’une “présomption d’urgence” (pour réduire les délais de procédures autour de la construction de nouveaux bâtiments agricoles)
  • Simplification des demandes de curage (visant à nettoyer les cours d’eau)
  • L’Office Français de la Biodiversité (OFB) placé sous la tutelle du préfet (pour devenir “l’interlocuteur préféré des agriculteurs”, selon Gabriel Attal)
  • Organisation de réunions entre l’OFB, les syndicats agricoles et le gouvernement (pour renforcer la cohésion entre les différents acteurs du monde agricole)
  • Un seul contrôle administratif pour les agriculteurs (par exploitation et par an)
  • Une seule réglementation pour les haies agricoles (au lieu de quatorze)
  • Fin de l’obligation de débroussaillement (qui était incohérente pour les agriculteurs à qui on demande de nettoyer les parcelles pour limiter les incendies, mais ces nettoyages nuisent à la biodiversité par la même occasion)
  • Pause sur les réglementations des zones humides et des tourbières (dans l’attente de discussions européennes sur les mesures non nécessaires déjà existantes)

Ces mesures devaient être mises en place dès le samedi 27 janvier dernier. Trois mois se sont écoulés et les mobilisations agricoles se poursuivent partout en France. Certains ne voient aucun changement.

“Jusqu’à maintenant, on n’a rien vu”

Depuis les annonces faites à Matignon, les mesures de simplification peinent à être appliquées dans le monde agricole. Dans la région Provence-Alpes-Côte d’azur, les producteurs qui vendent à circuit court, comme Bénédicte*, déplorent un manque d’action. Cette productrice de légumes soutient ses collègues mobilisés depuis Tanneron (Var). Au sujet des mesures annoncées par Gabriel Attal, elle s’indigne : “Il n’a rien tenu. Il n’a rien fait”. 

En Franche-Comté, les agriculteurs ne sont pas épargnés. Dans le petit village de Lœuilley, Cyril Vagner, éleveur et cultivateur de 27 ans, est déçu que ces mesures prennent du temps à se mettre en place. Il s’énerve : “Il a promis la détaxation du gasoil (non routier, destiné aux poids lourds) qui, pour le moment, n’est pas détaxé du tout !”. Pour lui, c’est la profession entière qui est en danger : “On veut pouvoir vivre de notre métier, c’est tout ce qu’on demande !”, s’inquiète-t-il. 

“On attend toujours !”

Dans les Alpes-Maritimes, les revendications sont nombreuses. Entre sécheresses et inondations, la Chambre d’agriculture de PACA soutient la colère agricole. Estelle Donne, directrice de l’organisme, explique : “On a des revendications locales, mais c’est l’agriculture nationale qui est menacée aujourd’hui !” Elle faisait partie de la mobilisation agricole le 1er février à Nice et pour elle, rien n’a été réglé. “On laisse encore entrer sur notre territoire de la marchandise traitée avec des produits interdits chez nous, ce n’est pas logique !”, clame-t-elle. Elle ajoute : “Personne ne peut s’aligner quand les grandes surfaces se font une marge de trois fois le prix proposé aux agriculteurs !”

En Franche-Comté, même constat. Bertrand* (FDSEA Haute Saône) s’impatiente : “On attend toujours de recevoir les aides annoncées !” Déçu par un “discours sans fond de la part de Gabriel Attal”, il explique que pour lui, le soutien de l’État est indispensable à la survie de la profession. “Si l’argent était versé, les agriculteurs pourraient mieux investir dans leurs exploitations. Investir permet de soulager.”, défend-il. Le syndicaliste s’agace : “Se tuer à la tâche pendant 40 ans de travail pour même pas 900 euros à la fin…”

Les agriculteurs, dans l’attente, restent mobilisés 

La colère des agriculteurs ne retombe pas, surtout dans les milieux ruraux. En Occitanie, la Coordination Rurale du Gers n’a pas manqué d’imagination pour exprimer sa colère et son impatience dans la nuit du 9 au 10 avril dernier. Les manifestants ont bâché les radars dans le Tarn. Le syndicat agricole promet : “Tant que l’État n’aura pas indemnisé les agriculteurs, plus aucun radar ne fonctionnera dans le département”. 

Un radar bâché et tagué “CR32” par les agriculteurs mobilisés, dans la nuit du 9 au 10 avril 2024. Photo Coordination rurale du Gers

Beaucoup de producteurs attendent encore de voir l’application des mesures. En Bretagne, Région la plus agricole de France, une centaine d’agriculteurs bio manifestaient à Rennes, le 11 avril dernier. Leur objectif : dénoncer le non-paiement d’une partie des aides de la Politique agricole commune (PAC). Versées par le gouvernement, elles étaient initialement prévues pour le 15 mars dernier. 

Un nouvel espoir pour la profession ?

Le 3 avril 2024, un nouveau projet de loi en faveur de l’agriculture a été présenté au Conseil des ministres. Le gouvernement souhaite favoriser l’insertion professionnelle et simplifier les réglementations françaises. Création d’un nouveau diplôme, formation de 50 000 nouveaux professeurs professionnels ou encore accompagnement individualisé pour les personnes qui souhaitent s’installer en agriculture ; ce sont au total une dizaine de mesures proposées par le Ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. 

Le ministre de l’agriculture Marc Fesneau, à l’annonce du projet de loi le 3 avril 2024. Photo Ministère de l’agriculture

Pour les ONG environnementales, ces mesures sont annoncées au détriment de l’écologie. Marc Fesneau a confirmé que des “millions d’euros sont consacrés à la recherche pour substituer aux produits phytosanitaires” mais la déclaration ne convient pas. Pour les défenseurs de l’environnement, rien n’indique que les nouveaux produits seront moins polluants. 

Le projet remanié, tant attendu par les agriculteurs, ne fait donc pas l’unanimité. Du côté de l’agriculture conventionnelle, l’effort du gouvernement est souligné même si une majorité d’agriculteurs l’estiment encore insuffisant. 

Manon VAGNER & Célia REUNIF
édité par C.R.

*Noms d’emprunt

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