Une journée en tant que bénévole aux Restos du cœur

Cinq mois après l’appel à l’aide du président des “Restos” et trois semaines après la collecte nationale de l’association, j’ai voulu voir à quoi ressemblait une journée complète dans la peau d’un bénévole aux Restos du cœur.

Le hall d’accueil des locaux des Restos du cœur de Cannes, préparé pour la distribution. De manière générale, à gauche est exposée la nourriture emballée, au centre les légumes et produits laitiers et à droite les produits d’hygiène. Photo PH.

6h30. C’est l’heure à laquelle je dois me lever ce mardi pour me rendre dans les locaux cannois des Restos du cœur en centre-ville, à quelques mètres du marché Forville. La journée d’un bénévole aux “Restos” commence tôt : on m’avait dit 7h30. C’est à cette heure qu’arrivent les premiers camions (par camions, j’entends de grands utilitaires) remplis de denrées.

Mais à l’heure où j’arrive — 7h30 donc —, les bénévoles s’affairent déjà à en vider un. Je me mets alors à la tâche : l’objectif est de sortir toutes les cagettes et tous les cartons remplis de nourriture pour les ranger dans les locaux de l’association. Deux camions sont là ce matin : l’un est estampillé Lidl, l’autre Carrefour. Mais n’allez pas croire comme moi que ce sont les supermarchés qui offrent cette nourriture, car elle provient de l’entrepôt de l’association à Saint-Laurent-du-Var, où l’intégralité des produits y ont été achetés grâce aux dons d’argent faits aux “Restos”.

Les fruits et légumes distribués en priorité

Nous posons provisoirement les cartons et cagettes dans la salle d’accueil du local, mais une fois les camions vidés, il s’agit de les ranger. Cela se fait par aliments, et les cartons sont entreposés dans une deuxième salle, la réserve. Le cas des fruits et légumes est particulier : ils ne sont pas entreposés et doivent être distribués dans la journée et dans la semaine. Il faut donc séparer les mûrs des pas mûrs, mais aussi et surtout des trop mûrs — qui représentent une partie non négligeable de chaque cagette.

Puis, on les sépare en quatre, pour les quatre distributions qui ont lieu chaque semaine aux locaux de Cannes. Mais les bénévoles m’expliquent que « les fruits et légumes ne sont pas répartis également en quatre, car plus de monde se présente aux collectes du mardi et du jeudi qu’à celles du lundi et du samedi ». Une fois les légumes exposés au centre du hall d’accueil, il faut remplir les étagères de denrées telles que des conserves, des desserts, des pâtes, des produits d’hygiène, le congélateur avec les produits qui seront distribués aujourd’hui et les frigos avec des yaourts et du fromage.

Des plats déjà cuisinés

Il est environ 11h quand arrive Marc, le bénévole qui s’occupe de la cuisine. Oui, la cuisine : en plus de distribuer de la nourriture à emporter, “les Restos” fournissent aussi des plats prêts à manger pour le midi (et chauds en hiver). Au menu du jour : du riz avec de la sauce tomate et des boulettes de viande. Je n’avais jamais vu quelqu’un cuisiner en d’aussi grandes quantités. Pendant que Marc s’occupe de la cuisine dans un énorme saladier, je l’assiste en répartissant la nourriture dans de petites boîtes en plastique.

Une nouvelle livraison qui arrive : celle des viennoiseries. Elle provient — tenez-vous bien — du Martinez, l’hôtel de luxe sur la Croisette, qui donne ses restes du petit déjeuner. On répartit donc les viennoiseries dans de petits sachets pour la distribution de l’après-midi.

À midi, c’est l’heure de manger pour les bénévoles. Je m’assieds autour d’une table conviviale où l’on mange le plat cuisiné par Marc, le même que pour les bénéficiaires. Durant le repas, je questionne les bénévoles autour de la grande collecte nationale des semaines passées et on m’annonce que celle-ci a été plutôt concluante : 1,3 tonne a été collectée à Cannes, seulement 25 kg de moins que l’année dernière.

Un bénévole me précise que le centre de Cannes accueille 400 bénéficiaires. Je remarque aussi pendant le repas qu’aux “Restos », on ne parle pas SDF, de personnes dans le besoin ou même de “pauvres” : on parle de GDR, de gens de la rue.

« Donner à qui demande »

Les bénévoles du centre de Cannes sont eux en grande majorité des hommes : je n’ai croisé que deux femmes au cours de la journée, l’une est la secrétaire — et s’occupe de l’accueil des bénéficiaires — et l’autre s’occupe de la distribution. Celle-ci commence d’ailleurs vers 12h30, avec les plats chauds : je mets les petites boîtes en plastique de riz et de boulettes dans un sachet accompagnées d’un dessert et d’une boîte de conserve (du pâté aujourd’hui).

On passe ensuite à la préparation de la distribution alimentaire, qui se fait par étapes : je termine d’installer toutes les denrées qui seront données ce jour, puis j’aide à positionner deux grandes tables à l’entrée du hall d’accueil pour former une sorte de bar où les bénéficiaires attendront qu’on leur donne ce à quoi ils et elles ont le droit.

À 13h, c’est le début de la distribution des repas, et la politique de l’association, c’est de « donner à qui demande ». C’est Marc, le cuisinier qui a la charge de la distribution des repas, qui s’étale aussi sur la distribution de denrées, qui commence d’ailleurs à 13h30.

Des bénéficiaires répartis par taux d’endettement

Avant de vous la raconter, pour bien comprendre comment elle fonctionne, mettons-nous à la place d’un bénéficiaire ou d’un futur bénéficiaire qui viendrait s’inscrire ou se réinscrire aux “Restos”. C’est le cas de Josiane*, qui se présente à 13 h 30 pour s’inscrire. On l’emmène donc à l’étage où se trouvent les bureaux du centre et en particulier l’ordinateur où sont inscrits les bénéficiaires. Josiane a 85 ans, elle est divorcée et n’a jamais travaillé — enfin, elle a été « secrétaire quelques années dans le cabinet médical » de son mari, mais sans contrat. Sa retraite est trop maigre pour couvrir son loyer, ses charges et ses dépenses en alimentation.

Toutes ces informations, couplées à des quittances de loyer et des avis d’impositions (ainsi que le nombre de personnes au foyer) sont entrées dans l’ordinateur qui calcule ensuite le “taux d’endettement” d’un demandeur. Si ce taux est négatif, le demandeur est accepté, mais ce à quoi il ou elle a le droit dépend toujours de ce “taux d’endettement”.

Josiane est acceptée “de justesse”, me dit le bénévole chargé de l’inscription. Elle se voit donc attribuer une carte de bénéficiaire à son nom ainsi qu’une feuille en carton décrivant ce à quoi elle a le droit et ce qui lui sera donné chaque semaine — sous forme de points. Car oui, chaque bénéficiaire ne peut venir aux “Restos” qu’une fois par semaine, sur un créneau précis noté sur la carte.

De quoi manger mais aussi des produits d’hygiène

Maintenant que l’on a bien compris comment est calculé ce taux d’endettement et les droits de chaque bénéficiaire, place à la distribution. Suivons le parcours de Katia*, mère célibataire de deux enfants, de 7 et 2 ans : elle fait la queue à l’extérieur et attend que son nom soit appelé. Elle passe ensuite par le bureau de l’accueil, où une bénévole prend sa carte et cherche dans un classeur la feuille cartonnée correspondante pour la donner à celles et ceux qui s’occupent de la distribution — équipe dont j’ai décidé de faire partie ce jour-là.

Katia se présente donc devant la table qui fait office de bar. Je lui demande ce qu’elle préfère parmi les différents produits de chaque catégorie, tout en tenant compte du nombre de points dont elle bénéficie pour chacun — 12. Pour la partie alimentation (la plus importante), on passe d’abord par les protides (dont les protéines) avec notamment de la viande et du poisson, puis par les accompagnements avec les légumes. Viennent ensuite les produits laitiers (dont le fromage) et enfin les desserts (surtout des fruits).

De l’autre côté de la feuille cartonnée sont notés les produits non alimentaires, qui sont distribués une fois par saison (été et hiver) — excepté pour les produits bébé et les protections hygiéniques. Ce jour étant la première distribution de la saison d’été, chacun peut choisir entre plusieurs produits, essentiellement d’hygiène, toujours en fonction de son nombre de points. Au choix : gel douche, lessive ou encore détergent. Une fois les poches de courses remplies, Katia me — nous — remercie et part : rien à donner, rien à payer, c’est la devise des Restos du cœur.

« La moitié des bénéficiaires sont Ukrainiens »

Cette première distribution de la saison est aussi l’occasion de réinscrire les bénéficiaires et de leur distribuer leur nouvelle carte et fiche cartonnée, bien que le barème entre les deux saisons ait été harmonisé à cause des difficultés financières de l’association.

De 13h30 à 16h à donc lieu la distribution, durant laquelle ont défilé ce mardi entre 50 et 100 bénéficiaires, en majorité des femmes. Un bénévole ajoute que « la moitié des bénéficiaires de Cannes sont ukrainiens ». La distribution est une tâche répétitive, cela me permet de vite comprendre le système et de devenir presque autonome, bien que surveillé.

Les interactions avec les gens sont diverses et l’ambiance est conviviale. 17h, c’est la fin de la journée. On remet les tables sur les côtés de la salle de distribution et on remet au frigo les produits frais mis dans des glacières pour qu’ils soient faciles d’accès.

Un coup de balai et je récupère mon sac à l’étage dans les bureaux avant de partir. Une journée en tant que bénévole aux Restos du cœur qui fut bien remplie, mais durant laquelle je me suis senti utile — et remercié, beaucoup remercié.

Paul HETTÉ

* prénoms d’emprunt

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