Psychologue en centre pénitentiaire : “quand je ne suis pas au travail, je n’y pense pas”

Frédéric D. est psychologue clinicien au Service médico-psychologique régional (SMPR) du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Cette profession singulière nécessite une “capacité de cloisonnement”, mais aussi une écoute des autres et une éthique qui suscitent parfois l’incompréhension.

Au centre pénitentiaire, les téléphones portables sont interdits. Frédéric D. ne peut utiliser que le matériel fourni par la prison. Photo Frédéric D.

Neuf. C’est le nombre de portes sécurisées que doit franchir Frédéric D. (dont le prénom a été modifié) avant d’atteindre son bureau dans le centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. À l’entrée des personnels, il présente son badge, et passe ensuite par le détecteur de métaux.

Huit portes plus tard, dans un bureau semblable à celui d’un cadre d’entreprise, le fauteuil qui fait face à celui de Frédéric D. accueille pour autant des patient(e)s. Car au SMPR (Service médico-psychologique régional), le terme détenu(e) n’est utilisé qu’avec les surveillant(e)s : “quand on parle avec les soignant(e)s, on dit patient(e)”.

Après avoir discuté avec ses collègues autour d’un café, Frédéric D. commence les entretiens de suivi individuels avec ses patient(e)s. Chacun dure 45 minutes. Il suit actuellement “une quinzaine de patient(e)s”, dont trois sont des femmes.

Ces entretiens ont deux objectifs. L’un est de soutenir les patients face au quotidien carcéral. L’autre est de “comprendre et travailler sur la problématique” de ses patient(e)s, dont “80 % sont des auteurs de violences physiques et sexuelles”, et sont en majorité des hommes.“On réfléchit aux facteurs impliqués dans le passage à l’acte”. Des facteurs liés à l’histoire – notamment traumatique – des patient(e)s, mais aussi liés à un contexte “prédisposant” au passage à l’acte.

Les piles de dossiers rangées dans l’armoire de son bureau témoignent des vingt ans d’exercice en milieu carcéral. Souhaitant initialement devenir professeur, Frédéric D. se réoriente finalement en psychologie. Il entre dans un DESS (diplôme d’études supérieures spécialisées) spécialisé en psychologie clinique et psychopathologie à Poitiers.

Il commence un an plus tard en pédopsychiatrie puis passe en 2004 le concours sur titre et obtient un poste dans le SMPR de la maison d’arrêt de Poitiers – ancêtre de la prison de Poitiers-Vivonne. Depuis, Frédéric D. n’a pas changé de statut.

“Les gens acceptent mal que l’on puisse parler aux détenus”

Des entretiens toute la journée avec les détenu(e)s, c’est à quoi ressemble la journée “type” de Frédéric D. : écouter et discuter avec celles et ceux ayant commis des choses graves. Frédéric D. constate que “les gens acceptent mal que l’on puisse leur parler [aux détenu(e)s]”. Pourtant, il “les considère comme des personnes qui ont commis des erreurs”.

“Je trouve qu’il y a une proximité entre mon métier et celui d’avocat, car ce dernier doit défendre quelqu’un qui a commis des choses atroces.”. Même s’il n’est « pas là pour juger”, Frédéric D. reconnaît cependant avoir un avis, qu’il “met de côté”. Être psychologue en prison requiert donc une éthique que tout le monde ne conçoit pas sur le droit aux soins autant qu’à la défense. Cette éthique, il la porte aussi dans le reste de son quotidien – réunions institutionnelles, comité d’éthique, enseignement universitaire – qui l’extraient aussi de l’environnement carcéral.

Cette activité demande une séparation stricte de la vie professionnelle et privée, compatible uniquement avec certaines personnalités. Frédéric D. explique avoir “une capacité de cloisonnement de [sa] vie qui est très utile. Quand je ne suis pas au travail, je n’y pense pas.” Les trente minutes de voiture qui le séparent de son domicile lui “servent de sas de décompression”, raconte-t-il. Quand la prison renferme aussi la vie professionnelle…

Paul HETTÉ

Laisser un commentaire