« J’ai arrêté de croire en Dieu, après ma première nuit dans la rue »

Ancien ouvrier du bâtiment, Roro s’est retrouvé à la rue à 65 ans après une blessure au poignet. Aujourd’hui, il survit comme plus de 10 000 personnes sans domicile fixe dans les rues de Marseille à la recherche de sourires et de quelques pièces. 

Roro (son surnom), sur les marches de l’escalier monumental de la gare de Marseille. Par superstition, il change de côté chaque jour. Photo V.D

Assis sur une couverture rêche distribuée par une des associations de la ville, il suit du regard un pigeon. Cela fait deux heures qu’il s’est installé sur une des marches de l’escalier monumental de la gare de Marseille. Loin de l’appréhension du train supprimé ou des grèves de la SNCF, il regarde les gens passer : « ils sont souvent pressés, au téléphone, en retard, s’amuse-t-il. Ça me fait sourire parfois. »

Roro vit dans les rues de Marseille depuis deux ans. Cet homme, ancien ouvrier du bâtiment, n’arrive plus à vivre de sa petite retraite. « Je pense que j’ai pas eu beaucoup de chance dans la vie », déplore-t-il. Entre maladie et accident du travail, cela faisait déjà quelque temps que tout se compliquait pour le marseillais de naissance. « Après une fracture au poignet, je suis parti à la retraite, mais j’ai pas de quoi vivre. »

« Un sourire, ça suffit parfois à remonter le moral« 

« Je ne viens pas d’une famille pauvre, quand j’étais petit, j’avais des jouets, de quoi m’amuser, de quoi m’habiller. Mais toute cette galère est arrivée très vite. » Après la mort de ses parents, il y a 20 ans, il perd son poste dans une grande entreprise de BTP. Il enchaîne quelques petits boulots, mais la maladie le rattrape. Un premier cancer, puis un deuxième : « j’ai mis du temps à me remettre de tout ça ». Il a souvent répété : « ça peut arriver à n’importe qui, c’est ce qu’il faut se dire quand vous voyez un gars comme moi dans la rue ». Ce qui lui manque beaucoup aujourd’hui, c’est un peu de considération : « je préfère un petit sourire, qu’un regard qui se détourne. Un sourire, ça suffit parfois à remonter le moral. »

Une petite croix accrochée au cou et un chapelet autour du poignet, mais cela fait bien longtemps qu’il a perdu la foi. « J’ai arrêté de croire en Dieu après ma première nuit dans la rue. » Avec des parents catholiques, il a toujours été pratiquant. Il s’était fait baptiser, allait à l’église tous les dimanches, sans oublier la messe de Noël, mais selon lui, ça n’a pas suffi. « Je garde ces babioles sur moi, mais elles n’ont plus de signification. Dieu a fait comme les autres, il m’a laissé tomber. »

Un peu d’argent pour une nuit au chaud

Plus tard dans la journée, il s’installe près de l’entrée du Carrefour City qui fait face à la sortie principale de la gare. Devant lui, un gobelet en carton, marqué du célèbre « M » jaune, lui sert à rassembler les quelques pièces du jour. « Ça peut aller de quelques centimes, à plusieurs dizaines d’euros. C’est rare, mais c’est possible. » Les bons jours, il a parfois de quoi se payer un logement pour la nuit. Une nuit, qu’il passe au chaud, loin des basses températures nocturnes. « Encore ici, on a de la chance, il fait moins froid que dans le nord, mais l’hiver ça reste dur », indique-t-il en remettant son bonnet en place. 

Lorsqu’il évoque les aides mises en place, il se referme sur lui-même : « j’ai eu trop de mauvaises expériences, on nous fait espérer, pour à la fin rien du tout », raconte le sans-abri. « Je compte même plus le nombre de dossiers que j’ai remplis pour avoir un logement, tout ça pour rien. Pour être honnête, j’y crois plus vraiment. » Du côté des hébergements d’urgence, c’est aussi un combat de tous les jours. À Marseille, en 2021, c’est plus de 14 000 personnes sans domicile fixe pour moins de 2800 places en logement d’urgence (en centre dédié ou à l’hôtel).

Victor DELFOUILLOUX

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