« Le rap game change grâce aux artistes de province »

Infinit est l’un des rappeurs les plus prometteurs de la région. A l’heure de prendre un virage déterminant pour la suite de sa carrière, le MC d’Antibes nous donne sa vision du hip-hop et de la culture urbaine en France et sur la Côte d’Azur. Il revient également sur l’affaire Estrosi. Entretien.

À 26 ans, Karim alias Infinit est LE rappeur azuréen. (Erwan Schiex)

À 26 ans, Karim alias Infinit est LE rappeur azuréen. (Erwan Schiex)

Le mouvement hip-hop ça évoque quoi pour toi?

– C’est ma vie. Tous les jours je rappe, j’écoute du rap et je suis l’actualité liée à cet univers. Toute ma vie gravite autour de ça, je suis dedans à 100 %. Et je suis toujours en recherche de nouveautés, d’inspirations diverses.

Qu’est-ce qui t’as séduit dans cette musique ?

– Je ne saurais l’expliquer. Cette musique me parle et me touche directement. C’est un tout. Le fond, la forme, l’ambiance qui l’accompagne. Un style qui s’adresse aux jeunes des quartiers avec de la danse, de la sape. J’ai kiffé tous les aspects du hip-hop. Je me suis dit que c’était fait pour moi !

Ça fait combien de temps que tu t’es lancé dans le rap et qu’est-ce qui t’y a amené ?

– J’ai commencé il y a maintenant dix ans de manière plus ou moins sérieuse. Dans la foulée, j’ai rejoint le collectif et label D’en Bas Fondation grâce auquel j’ai fait mes classes et enregistré mes premiers titres. Mais j’ai écrit mon premier couplet vers 11, 12 ans. En fait, j’ai toujours baigné dans l’univers hip-hop. J’ai fait du graffiti et du breakdance. A part DJ, je suis passé un peu partout et je suis arrivé au rap à la fin. Depuis que je suis petit j’écoute cette musique, notamment grâce à mon grand frère et ma grande sœur qui en écoutaient énormément.

De quoi te nourris-tu pour composer ta musique ?

– Déjà, de tout ce que j’écoute. Et puis évidemment de la vie de tous les jours. La vie quotidienne d’un mec normal qui essaie de faire son truc. Au final, je rappe rarement sur des thèmes précis.

De quelle manière travailles-tu ?

– J’écoute une instrumentale, puis j’invente des paroles dans ma tête et je les répète. Ensuite, je vais poser au studio. Je n’arrive pas à écrire des textes. J’ai déjà essayé mais je trouve que le propos perd de son naturel, de sa spontanéité. La musique n’est pas quelque chose de scientifique et lorsque tu écris, tu as tendance à buter sur des mots, reprendre tes tournures de phrases, les transformer. Je trouve que le premier jet est toujours le meilleur. Sinon, je maquette beaucoup chez mes potes avant d’aller enregistrer.

Qui sont les artistes qui t’inspirent aujourd’hui ?

– Essentiellement des rappeurs ou des chanteurs de RnB américain. Je n’écoute plus de rap français depuis que je me suis mis à rapper moi même. J’ai été pas mal inspiré par des mecs comme Max B, Rick Ross ou encore Cam’ron. J’ai apprécié les derniers projets des chanteurs Jeremih ou Spooky Black. Après je kiffe aussi toute la musique soul des années Motown. En fait je suis toujours à l’affût des nouveautés, ce qui renouvelle mes influences et m’aide à évoluer.

Comment se faire remarquer lorsqu’on est indépendant ?

– Il n’y a pas de secret. Il faut bosser encore plus, produire plus pour être visible. Il faut inonder les ondes. C’est pour ça, j’ai horreur que mes projets traînent. Ensuite, c’est du partage sur internet, sur les réseaux sociaux, du bouche-à-oreille aussi.

Tu vis de ta musique aujourd’hui ?

-Non pas vraiment, du moins pas encore. Pour l’instant j’appartiens au collectif D’en Bas Fondation, qui est un label indépendant.

Signer dans une maison de disque c’est pour quand ?

– On verra, pour l’instant il n’y a rien de concret. Il y a eu des propositions, des discussions avec certaines maisons de disque, mais ça s’arrête là.

Ambitieux, le jeune artiste compte prendre le train en marche sur la route du succès (Erwan Schiex)

Ambitieux, le jeune artiste compte prendre le train en marche sur la route du succès (Erwan Schiex)

La scène rap n’est pas très reluisante dans la région. Comment tu la perçois ?

– Je pense qu’il y a beaucoup d’artistes mais pas assez de structures pour les mettre en lumière. Tu peux faire quelque chose toute ta vie mais si personne n’en parle, on ne te voit pas ! Il n’y a pas assez de personnes qui s’intéressent à cette scène. Notamment au niveau des médias. Je trouve que peu de sites en parlent et peu d’entre eux relaient vraiment ce qu’il se passe.

Tu te produis souvent sur la Côte d’Azur ?

– Ces six derniers mois, sur la totalité de mes concerts, je n’en ai même pas fait un quart sur la Côte d’Azur, alors que je vis ici ! Je tourne plus à Paris et ailleurs en France.

Ce manque d’organisation, d’événements et de concerts autour du hip-hop peut-il changer dans un avenir proche ?

– Ça peut changer oui, mais pas du tout au tout ! Cependant il faut aussi savoir contourner ce genre d’obstacles, passer par des associations, prendre les choses en main. Il y a toujours des possibilités.

Le fait d’habiter en province est-il un désavantage quand on veut être reconnu dans le rap ?

– Avant peut-être, mais c’est de moins en moins le cas. Tout se passe à Paris et pourtant c’est comme si ils commençaient à tourner en rond là-bas. La preuve, les derniers mecs qui ont explosé, les dernières signatures sont des rappeurs comme Gradur de Roubaix ou Joke de Montpellier par exemple. Je pense que le game est en train de changer. De plus en plus, ce sont des artistes qui ne viennent pas de la région parisienne qui vont réussir à amener quelque chose de nouveau et de différent. C’est positif qu’il y ait moins de parisianisme.

En tant que provincial, est-ce qu’on t’a déjà méprisé lorsque tu es allé faire de la musique dans la capitale ?

– Personnellement non. J’ai fait plusieurs collaborations avec des artistes de la région parisienne et ils se sont toujours montrés cool avec moi. C’est eux qui m’avaient appelé parce qu’ils appréciaient mon travail. Mais j’ai conscience que cette mentalité existe.

Infinit et Seth Gueko accompagnent Greg Frite sur son dernier album, avec un thème : le traitement réservé à la communauté des Roms. 

La street culture est-elle devenue mainstream aujourd’hui ou est-elle encore marginalisée ?

– Je pense qu’il y a un peu des deux. Aujourd’hui tu peux voir, entendre du rap partout jusque dans certaines publicités à la télé. En même temps certains médias influents continuent de marginaliser cette musique. C’est hypocrite car nous sommes le deuxième pays à consommer et à produire le plus de rap derrière les États-Unis. Sur internet, les clips de certains rappeurs font régulièrement des millions de vue, il y a un vrai public rap. Je comprends que cela ne plaise pas à tout le monde, surtout dans une région où la moyenne d’âge est élevée. Donc les élus et les dirigeants préfèrent organiser des bals musettes plutôt que de voir des noirs, des arabes avec des bonnets et des micros sur scène.

Si ce n'est pas son exercice favori, Infinit se sert également du rap pour attaquer le pouvoir institutionnel (Erwan Schiex)

Si ce n’est pas son exercice favori, Infinit se sert également du rap pour attaquer le pouvoir institutionnel (Erwan Schiex)

Peux-tu faire un retour sur le buzz que tu as provoqué en juillet dernier avec ta chanson intitulée « Christian Estrosi ».  Presque tous les médias nationaux en ont parlé.

– Au début on a fait tourner ce son entre nous sur les réseaux sociaux. Ensuite Dj Weedim – qui est mon beatmaker et mon DJ – et moi même avons été contactés par Nice-Matin. Puis les principaux médias nationaux ont relayé le truc. Il y avait même des magazines people comme Closer je crois. C’était marrant de voir comment mon propos avait été déformé de média en média car seul l’Express, Rue 89 et Nice Matin m’ont contacté directement.

Infinit – Christian Estrosi 

Ce buzz était-il recherché ?

-Non, j’ai fait ce son parce qu’Estrosi est un personnage atypique, de par son parcours notamment. C’est un délire que j’ai kiffé. Sa vie, c’est un peu un film X ! Après, on s’est dit que si cela faisait du bruit, c’était tant mieux pour nous.

Donc tu ne cherchais pas à t’attaquer au pouvoir politique avec ce morceau ?

– Non c’était plus un délire. Mais en même temps, il faut lire entre les lignes…

Le maire de Nice l’a très mal pris puisqu’il a porté plainte

– Oui mais c’est un acteur. Autant moi j’ai fait mon buzz sur lui, autant il a fait le sien sur moi. C’est ce qu’il cherche. Disons que je lui ai aussi fait son actu (rires). On nous a juste demandé de retirer la photo d’illustration d’Estrosi avec un drapeau algérien que nous avions mis sur le son Youtube. Et c’est ce que nous avons fait.

La notion de contre-pouvoir dans le rap a-t-elle disparu aujourd’hui ?

– Non cela existe toujours. Les rappeurs dits conscients ont encore un public. Ils sont toujours écoutés. Mais le rap est éclectique, du moment que tu as ta « fan base » et fais ton propre délire. Si tu as envie de faire passer des messages politiques ou donner ton avis sur un sujet, tu peux te servir du rap. Moi personnellement, je ne fais pas que ça. J’apprécie d’avantage l’egotrip et les sujets plus légers. Je préfère cette position plutôt que de faire le mec révolutionnaire.

Ton actu, c’est quoi ?

– Mon prochain EP devrait sortir d’ici la fin de l’année. Il comportera sept titres et on retrouvera des featurings avec AlphaOne, Al Kapote, Greg Frite ou encore Millionnaire de mon label DBF. J’ai aussi d’autres projets, en solo et en commun avec d’autres artistes qui vont arriver. Ils sont déjà prêts, mais j’en parlerai au moment venu. Chaque chose en son temps (rires). En ce moment j’assure aussi les premières parties du groupe l’Entourage. J’ai joué à Marseille, Montpellier et Lyon dernièrement.

Propos recueillis par Erwan Schiex