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« Nous n’avons pas le droit de militer en Algérie »
En Algérie, grâce à des militants toujours plus nombreux, les droits des LGBTI prennent de l’ampleur. Une chose vivement contestée dans un pays conservateur et croyant. Zoheir Djazeiri est un jeune partisan qui veut faire valoir ses droits. Rencontre.
Des bougies pour une journée mémorable. C’est exceptionnel en Algérie. Depuis huit ans, chaque 10 octobre, les LGBT algérien(ne)s ainsi que ceux qui les soutiennent dans le monde, allument une bougie dans la soirée et la prennent en photo en vue de la partager sur les réseaux sociaux. C’est le TenTen Day.
En Algérie, deux grandes associations – interdites – luttent pour le respect des droits de l’Homme, mais celles-ci sont là pour montrer qu’elles perdurent dans une société qui leur est hostile. Il s’agit d’Abu Nawas et d’Alouen.
Vous avez été militant dans l’association Abu Nawas. Que défend-elle ?
J’étais l’ancien président d’Abu Nawas qui s’occupe de la promotion des droits LGBTI (Lesbiennes Gays Bisexuel-le-s Transgenres et Intersexuées, ndlr) mais je n’en fais plus partie. Maintenant je suis le coordinateur de l’organisation Trans-Homos-Dz qui s’occupe plutôt de la protection des personnes LGBTI.
A quoi se rapportent vos actions au sein de l’association ?
L’article 338 du code pénal algérien condamne à une peine de prison allant jusqu’à trois années tout acte d’homosexualité. Les activistes risquent pour leur part jusqu’à dix ans de prison car ils constituent, selon la loi, une association de malfaiteurs. Les actions de lutte sont toutes orientées vers le changement du regard et des mentalités mais pour des raisons de sécurité, nous ne pouvons les divulguer.
Vous avez milité pour le respect des droits de l’Homme. Est-ce que c’est quelque chose de difficile à faire accepter en Algérie ?
J’ai travaillé pendant des années en tant que réfèrent pour les droits de l’Homme dans une ONG internationale basée en Algérie et je continue à me battre pour tous les droits qui sont liés à l’humain. Qu’il s’agisse des droits des femmes, des LGBTI et des migrants… Il est très difficile de travailler en Algérie dans la lutte pour les droits de l’Homme en raison de deux points principaux : la société est très conservatrice et parce que l’Algérie n’est pas un état de droit.

Zoheir Djazeiri prend en photo les images qui lui parlent sur sa télévision. (Crédit photo : Zoheir Djazeiri)
Vous revendiquez-vous comme homosexuel ?
Sur le plan général et pour ne pas rentrer dans des explications très complexes, je me présente en tant que gay. Sur un plan plus privé et plus philosophique, je n’aime pas les cases et je me considère Queer.
Comment le gérez-vous vis-à-vis de la répression ?
Certains se résignent à la situation et vivent cachés. D’autres ont décidé de se battre afin que la situation change et d’autres préfèrent vivre comme ils peuvent et évitent au maximum de parler du sujet car ils pensent que la lutte ne servira à rien. Au final, ils souffrent tous de la répression.
Quels autres efforts y a-t-il à faire en Algérie pour respecter les droits individuels ?
Il suffit que les organisations de défense des droits de l’Homme comprennent qu’il ne faut pas diviser ces droits et commencent à défendre les LGBTI. Si c’est fait, nous gagnerions beaucoup de temps. On en est encore loin.
Est-ce toléré, en Algérie, de manifester publiquement et sur Internet pour la reconnaissance des droits des homosexuels ?
Les manifestations de manière générale sont interdites en Algérie et quand des gens passent à l’acte et protestent dans la rue, ils sont confrontés à une répression très violente. Il est clair qu’il ne s’agit pas des LGBTI car pour nous, l’idée de manifester dans la rue n’est même pas imaginée. Pour ce qui est du net, avant c’était facile mais depuis que les réseaux sociaux ont changé la donne dans les printemps arabes, nous sommes maintenant contrôlés et le risque est devenu très grand. Notre lutte et nos plus grandes actions se faisaient déjà à partir de 2007 sur le net.
Il existe une journée nationale dédiée aux LGBTI, appelée TenTen. C’est une avancée importante vers la reconnaissance des LGBTI en Algérie ?
En 2007, nous avons décidé avec un groupe de militants et non-militants, de créer une journée nationale, notre journée. S’agissant du 10 octobre donc dix-dix, nous l’avons appelé TenTen. A l’époque, il s’agissait juste d’allumer une bougie ce jour à 20 heures. Ça nous permettait de comprendre que nous n’étions pas seuls et que d’autres personnes comme nous vivaient les mêmes choses et ressentaient la même exclusion. Depuis 2007, cette journée est devenue de plus en plus importante et depuis, nous recevons beaucoup de photos de bougies allumées de toute l’Algérie et du monde entier.
Pouvez-vous comparer les droits LGBTI dans votre pays avec ceux de la région ? Vous sentez-vous optimiste pour l’avenir ?
Dans la région, l’Algérie n’est pas leader dans ce combat. Nous avons eu avant nous, les militants de Helem au Liban et de Aswat en Palestine. Le plus grand danger à notre avis, au-delà de tout c’est le conservatisme et le radicalisme des Etats. Malgré tout, je suis optimiste car sinon, je cesserais tout militantisme.
Propos recueillis par Lucile Moy