
Étiquettes
Tchétchénie : La dictature oubliée ?
Parler de la Tchétchénie n’est pas chose facile, en particulier sur les réseaux sociaux où nous sommes plutôt habitués à des sujets légers. Mais raconter ce qu’il se passe dans le pays nous tenait à coeur, on vous explique.
L’idée du sujet nous est venue grâce à un projet parallèle. Nous avions rencontré une femme tchétchène, arrivée sur la côte d’Azur depuis deux mois. Elle nous disait vouloir médiatiser son histoire. Nous ne pouvions pas le faire dans ce premier projet, ce qui nous a particulièrement déçu, son histoire nous est restée en tête. Nous voulions lui donner la parole. En début de semaine, nous repensons tout de suite à elle et décidons de consacrer ces trois épisodes à la Tchétchénie. L’objectif : présenter le contexte, la situation politique, montrer à quel point Kadyrov règne avec une main de fer sur le pays et jusqu’où il est prêt à aller et surtout diffuser le témoignage de cette femme qui nous a tant marquées. Nous la re-contactons et c’est sans grandes négociations qu’elle accepte de nous parler. Seules contraintes : la barrière de la langue, Sofia ne parle que tchétchène et russe, nous pas du tout. Son fils aîné qui a aujourd’hui 18 ans et parle 5 langues : tchétchène, russe et allemand couramment et un peu anglais et français accepte de jouer l’interprète. C’est grâce à lui que nous avons pu réaliser ce sujet puisqu’il nous a traduit du tchétchène à l’allemand les propos de sa mère, que nous avons ensuite retranscrit en français. La deuxième : nous devons la protéger de possibles représailles, ce qui veut dire qu’elle n’apparaîtra pas à visage découvert et que nous ne devons rien montrer qui puisse permettre de l’identifier. En effet, Kadyrov a des espions partout et si elle venait à être reconnue, elle risquerait gros et sa famille encore sur place pourrait être en danger.
Droit de l’homme bafoués, liberté d’expression quasi inexistante et culte de la personnalité… sous son statut de République autonome, la Tchétchénie prend des airs de dictature. Entre frasques et provocation Ramzan Kadyrov ne se refuse rien. Ceux qui osent aller à l’encontre de ses idées en paient les conséquences. Que ce soit les opposants politiques qui critiquent le régime autoritaire ou bien les homosexuels persécutés sans relâche pour leur orientation sexuelle, Ramzan Kadyrov n’hésite pas à employer des moyens illégaux pour mater son peuple.
La Tchétchénie : la dictature oubliée par les médias ?
En faisant des recherches nous étions tombées sur une interview filmée de la BBC, le journaliste était censé parler sport avec Kadyrov mais avait fini par glisser quelques questions sur la situation politique. Les réactions de Ramzan Kadyrov étaient si fortes et scandaleuses que nous voulions les utiliser mais il nous fallait un expert pour contrer les propos du président. Nous avons donc fait appel à Alban Mikoczy, journaliste à France TV qui a été correspondant pendant 6 ans en Russie à Moscou. Il avait été un de nos intervenants durant une semaine professionnelle, il a donc accepté avec plaisir de nous partager son savoir en skype et nous expliquer les raisons du manque de couverture médiatique dans la zone. Nous n’avons pas pu tout mettre dans la story mais il s’est lui-même rendu deux fois en Tchétchénie pour couvrir des évènements sportifs et cela lui a suffi pour remarquer la soumission du peuple face aux milices tchétchènes, l’oppression qui règne dans tous les aspects de la vie quotidienne. Par exemple, pour boire une simple bière au restaurant (l’alcool étant interdit dans la religion musulmane dominante en Tchétchénie) il nous raconte qu’il devait la cacher sous la table dans un sac plastique. Une preuve que Kadyrov fait appliquer la charia de façon stricte, une loi islamique qui passe avant les lois russes, ce qui choque énormément les autres régions du Caucase.
Le témoignage poignant de Sofia*
*Prénom fictif pour des raisons de sécurité
L’IGTV consacrée au parcours de Sofia est l’illustration même de ce qu’inflige Kadyrov et son entourage au peuple tchétchène. Forcés de fuir face aux persécutions que son mari et elle-même ont subi à cause des ses opinions politiques, Sofia aspire aujourd’hui à retrouver une vie normale. Cette femme, mère de 4 enfants a traversé de nombreuses épreuves, en Tchétchénie d’abord où elle retrouve à de nombreuses reprises son mari inconscient dans la rue et couverts de bleus après des passages à tabacs perpétrés par les milices de Kadyrov. Censé coopérer avec les milices pour survivre en dénonçant d’autres opposants, son mari fuit à Moscou, loin d’elle. Sofia reçoit alors la visite de la police tchétchène qui l’emmène au poste où elle subira elle aussi des coups et des attouchements. Pendant un an, elle devra vivre loin de celui qu’elle aime, il reviendra tout de même plusieurs fois la voir à Grozny malgré les risques, lors d’une de ces entrevues secrètes, la police les attrape. Son mari est encore une fois battu, l’intimidation va jusqu’au tir d’une balle au dessus de sa tête qui le touche sur le haut du crâne. Il est laissé pour mort dans un cimetière “pour lui laisser le temps de réfléchir”, Sofia le retrouve trois jours après et l’emmène chez un ami chirurgien pour qu’il soit soigné. Après cela, il décide de fuir tous les deux, ils émigrent en Allemagne où il reste 6 ans. Ils auront ensemble 4 enfants. Lors de la dernière année, en 2018, elle réussit à demander l’asile pour son fils aîné resté en Tchétchénie chez sa grand-mère.Un an plus tard, les services de l’immigration renvoient de force son mari en Russie. Il est toujours emprisonné à Moscou à ce jour. De son côté, Sofia tente de prendre un nouveau départ.
Aurore COULON
Ana MICHELOT