L’athlétisme comme levier d’intégration pour les étrangers

Originaire d’Agadir, au Maroc, Hamid Boudhair a quitté sa terre d’origine pour s’installer en 2023 sur la Côte d’Azur, portant avec lui le désir ardent de vivre pleinement sa passion pour l’athlétisme.

« Travail, entraînement et compétition ! », voici les trois mots rythmant le quotidien de Hamid Boudhair. Véritable passionné d’athlétisme, l’autodidacte de 28 ans consacre sa vie à ce qu’il qualifie comme “sa raison d’être”. “Je vis, je mange et je dors dans cet univers”, confie-t-il avec enthousiasme. Pourtant, l’athlétisme n’a pas toujours été son terrain favori, puisqu’il a découvert la discipline “par pur hasard”, à l’âge de 14 ans. “J’ai longtemps fait du football, mais je n’aimais pas l’aspect collectif. L’athlétisme est un sport beaucoup plus individuel, qui favorise en plus le dépassement de soi.”

C’est trois années plus tard, à l’âge de 18 ans que Hamid fait véritablement entrer la course dans sa vie quotidienne. “Un ami, autodidacte comme moi, m’aidait à organiser mes entraînements” Malgré tout, ces horaires à rallonge rendent difficile la conciliation entre ses obligations professionnelles et sa passion. “Au Maroc, on peut travailler jusqu’à 15 heures par jour, il était très difficile pour moi de trouver un temps pour la course”. Malgré ces horaires éreintants, celui qui a quitté son village natal à l’âge de 6 ans pour partir étudier ne lâche rien, et enchaîne les entraînements intensifs à côté de son travail. “J’avais un seul objectif en tête, j’étais déterminé et rien ni personne ne pouvait m’arrêter”. Cette détermination inouïe le pousse alors à remporter de nombreuses courses locales, dont le 10 kilomètres de Casablanca, où il établit son record personnel en 29’45. « L’année 2018 a été une année culminante pour moi, c’est là que j’ai véritablement commencé à apercevoir les résultats de mon travail acharné ».

Hamid Boudhair à ses débuts en course à pied au Maroc

Des résultats remarquables qui n’échappent pas aux organisateurs du marathon de Deauville, qui font alors appel à Hamid en novembre 2023. « Je n’ai pas hésité un seul instant. Dès réception de l’invitation, j’ai soumis ma demande de visa, que j’ai rapidement obtenue, avant de m’envoler pour la France. »

Après son expérience à Deauville, Amar, un fidèle ami à Hamid et propriétaire d’une boucherie à Cannes, lui propose de venir travailler dans ses locaux. Mieux, il lui trouve même un appartement. “Je connais Hamid depuis très longtemps, et c’est un vrai passionné. Il a ce potentiel et cette détermination remarquable”. Et d’ajouter : “Je crois en lui et en son potentiel depuis toujours”. 

Hamid Boudhair sur son lieu de travail. Photo DR

Dès son arrivée sur la côte d’Azur, Hamid réalise plusieurs courses dans la région et son nom commence peu à peu à se faire entendre dans le monde de l’athlétisme local. Aujourd’hui, celui qui a choisi la France pour sa proximité linguistique se dit “parfaitement intégré au pays. (…) Le sport a vraiment contribué à faciliter mon intégration, le simple fait d’appartenir à un club, de voir et de discuter avec des coéquipiers chaque mardi et jeudi me rend heureux. La France est une véritable terre d’accueil pour les sportifs”. L’autodidacte vit aujourd’hui “pleinement sa passion” avec une routine tout aussi intensive : “Mon emploi du temps est très chronométré, je n’ai pas droit aux écarts de temps sinon, c’est mon sommeil qui va en pâtir !” 

Hamid Boudhair à l’entrainement. Vidéo DR fournie par Hamid Boudhair

À l’Athletic Club de Cannes, on salue l’adaptation de Hamid : « Son intégration a été excellente », souligne son coach, Philippe Berger. Il faut dire que le club de Cannes est habitué à recevoir des athlètes étrangers. “Ce qui a facilité les choses, c’est qu’il y a déjà deux athlètes marocains dans le groupe. On a déjà eu aussi des Allemands, des Australiens, des Ukrainiens, et ça s’est toujours bien passé » explique Philippe Berger. La barrière de la langue ne constitue d’ailleurs pas un frein. « Il suffit juste qu’ils parlent quelques mots d’Anglais et on arrive à communiquer », poursuit l’entraîneur du groupe running. Il est même arrivé que la solidarité au sein du club dépasse le cadre du sport : « On a déjà eu un couple d’Ukrainiens qui ont tout quitté et qui ont été logés par des athlètes du groupe. »

La France, terre d’accueil pour les sportifs étrangers

L’exemple de Hamid n’est pas un cas isolé, en France, de nombreux athlètes étrangers viennent dans l’espoir d’obtenir des bourses auprès des clubs en contrepartie de leurs bonnes performances.

Données recueillies sur bases athlé.

Selon l’INSEE, le Maroc est le deuxième pays le plus représenté chez les étrangers vivant en France. Ils représentent 11,9% d’entre eux, contre seulement 0,8% de la population totale en France. On constate ainsi une représentation importante des Marocains dans le demi-fond et le fond de haut niveau en France. Parmi eux, certains font le choix de propulser leur carrière à l’international en-dehors de l’Hexagone, tandis que d’autres souhaitent revêtir le maillot de l’équipe de France. L’un des meilleurs exemples est celui d’Azzedine Habz. Dans des propos recueillis par Olympics, il explique avoir quitté le Maroc à 19 ans pour venir poursuivre ses études en philosophie à l’Université de Saint-Denis. La barrière de la langue l’a contraint à stopper ses études, et à se consacrer à l’athlétisme, tout en travaillant en restauration rapide pour gagner un peu d’argent. Il s’entraîne alors dans le club de Pierrefitte, et vante les bénéfices du sport pour son intégration : « Le sport était une façon de m’évader, de sortir de la routine de travail. Ça m’a permis de trouver des amis, d’apprendre la langue aussi, parce que c’est là où je me suis mélangé avec les gens qui parlent français ». Naturalisé en 2018, il est aujourd’hui un des piliers du demi-fond français : 2e meilleur performeur français de tous les temps sur 1 500 m, 4 médailles internationales et 6 titres de champion de France. 

Azzedine Habz lors de sa qualification en finale du 1500m aux championnats du monde d’athlétisme à Budapest. Photo DR Stadion

« Le sport ouvre de nombreuses portes qui restent généralement fermées aux étrangers« 

Un parcours qui ouvre la voie du succès par le sport et inspire des athlètes comme Saïd Kaddour. Le 22 octobre dernier, le Marocain d’origine s’est illustré à l’occasion des championnats de France de 5 km qui se tenaient à Saint-Omer dans le Pas-de-Calais. L’athlète a bataillé en tête durant toute la course et s’est finalement offert la troisième place à seulement 5 secondes d’Alexis Miellet (3’34 sur 1500m), vainqueur de la course. Une performance qui s’ajoute à de nombreuses autres marques de haut niveau depuis son arrivée en France en janvier 2022 (29’20 sur 10km à Nice, 12e au championnat de France de Cross long en 2023). Des marques qui lui ont permis de signer un premier contrat. « J’ai un contrat annuel avec le Club Alès Cévennes athlétisme, et un logement gratuit fourni par la Mairie d’Alès, en plus de l’argent que je gagne grâce aux courses» , se réjouit Saïd Kaddour. Des aides qui lui permettent aujourd’hui de vivre de son sport. Au-delà du support financier, son statut d’athlète de haut niveau lui a aussi permis de s’intégrer socialement : « J’ai aimé la France parce que l’intégration est beaucoup plus simple. Ici, tout le monde vous apprécie. ».

Saïd Kaddour lors des championnats de France de cross 2023. Photo DR fournie par Saïd Kaddour

L’athlète marocain admet ainsi que le sport a contribué à faciliter son intégration : « L’intégration est considérablement facilitée par la pratique sportive. Car pour ceux qui ne sont pas sportif, l’intégration est bien plus difficile… Le sport ouvre de nombreuses portes qui restent généralement fermées aux étrangers. » A l’approche de ses 26 ans, Saïd rêve grand : « L’objectif principal est de se qualifier pour le marathon aux championnats du monde 2025 et aux Jeux olympiques de Los Angeles en 2028. » Un palier ambitieux qui dépend aussi de facteurs extra-sportifs. « J’espère trouver des sponsors pour m’aider à atteindre cet objectif, car ce n’est pas une chose facile, et j’espère que la situation liée à ma carte de séjour sera réglée pour que je puisse continuer mon projet avec mon entraîneur Morrissey Christopher, et le club d’Alès qui m’aide depuis deux ans. » Une situation administrative incertaine qui compromet même son avenir dans le sport. « Je suis arrivé en France avec un visa sportif qui vient d’expirer. J’attends une réponse de la préfecture de Nîmes depuis dix mois concernant mon dossier de carte de séjour. Si je ne l’obtiens pas, je serai contraint de retourner dans mon pays et d’abandonner mon projet. » Sans carte de séjour, Saïd ne peut pas travailler et ne pourrait pas participer à la Coupe d’Europe de cross-country avec son club, le 25 février prochain.

Nafida ABDILLAH & Haron LEVEAU

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