Bulgarie : Les Inaudibles face aux sourdes oreilles (1/2)

Est-il possible que des milliers de citoyens qui manifestent pacifiquement depuis le 14 juin dernier ne soient pas entendus ? Pourquoi aucun média ne relaye leurs revendications depuis près de cent jours ? Est-ce normal que les parlementaires fuient les réclamations de ses citoyens ? En Bulgarie, les protestataires infatigables se sont donné un triste surnom : les Inaudibles. Enquête sur un pays au bord de la rupture sociale.

La Bulgarie. Un pays que peu de personnes placent correctement sur une carte. Pourtant, seulement 2 000 kilomètres séparent Paris de Sofia, la capitale. Coincé entre une Turquie politiquement divisée et une économie roumaine en pleine expansion, ce petit pays de seulement 7,5 millions d’habitants (1,6% de la population européenne) n’arrive pas à sortir son épingle du jeu depuis son adhésion à l’Union Européenne en 2007. Ses leaders politiques hésitent encore entre tourner entièrement la page du communisme et garder les liens traditionnels qui l’unissent à la Russie. Une position qui favorise la corruption, les privilèges accordés aux plus riches et l’expansion de la mafia, omniprésente dans le monde politico-économique.

Février : les premières étincelles

A force de tirer sur la corde, elle casse. D’un bout, les oligarques bulgares, qui jouissent d’un train de vie idyllique et oublient souvent les rôles qui leur sont attribués. De l’autre côté, les classes populaires à qui l’on pille littéralement le peu de ressources qu’elles possèdent. Ani, une étudiante de Sofia, s’estime heureuse de sa situation par rapport à la plupart de ses concitoyens. « Ma mère est médecin à temps plein. Elle gagne 500 euros par mois, ce qui est un bon salaire en Bulgarie – le salaire moyen en Bulgarie avoisine les 150 euros. Mais les prix sont aussi élevés qu’en Europe occidentale. Après avoir payé les impôts, l’électricité et toutes les taxes que l’Etat nous demande, il ne nous reste qu’à peine 200 euros pour vivre. »

La jeunesse bulgare, exaspérée par la situation, réclame de nouvelles élections. (Photo : D.R.)
La jeunesse bulgare, exaspérée par la situation, réclame de nouvelles élections. (Photo : D.R.)

Justement, l’électricité fut la première étincelle en février dernier. A quelques semaines de la fin de son mandat, le premier ministre bulgare et leader du parti pro-européen de centre-droit Gerb, Boiko Borissov, décide d’augmenter le prix de l’électricité, un secteur où seules trois entreprises privées mais proches du gouvernement détiennent le monopole. Une poignée de personnes descendent dans la rue pour protester contre ces mesures, sans effet.

14 juin, un jour de colère

Malgré l’agacement de plus en plus important de la population, la situation ne s’améliore pas. Les parlementaires continuent de se remplir les poches sur le dos des contribuables. La mafia poursuit sa longue chevauchée paisible vers la confiscation presque totale des biens. Le jeu entre politiciens et hommes d’affaires rongés par le désir de richesse prospère. Tout ça, sous les yeux des Bulgares, aussi écœurés que consternés.

Les élections législatives de mai se déroulent paisiblement et voient Plamen Orecharski, député sans étiquette, devenir Premier ministre. Comme d’habitude, un discours rempli d’espoir et de remerciements couvre la place centrale de Sofia. Il fait bonne figure devant des partisans conquis, adresse un message de lutte contre la corruption et le système mafieux qui gangrènent le pays. Dans le discours seulement. Car Orecharski a plein d’idées en tête. « On voulait rompre avec le gouvernement précédent, qui n’a pris aucune mesure depuis 2009. C’est toujours les mêmes qui amassent l’argent, alors que la pauvreté est partout, en ville comme à la campagne. Dans la rue où j’habite, à Sofia, les gens arrachent des morceaux de routes pour construire des maisons ou les revendre sur le marché » raconte Stefan, un jeune homme exaspéré.

Vidéo des débordements à Sofia lors des manifestations anti-gouvernementales : ici

Depuis plus de trois mois, des milliers de Bulgares défilent tous les jours dans la rue pour exprimer leur mécontentement, comme ici à Sofia. (Photo : D.R.)
Depuis plus de trois mois, des milliers de Bulgares défilent tous les jours dans la rue pour exprimer leur mécontentement, comme ici à Sofia. (Photo : D.R.)

Pauvreté, un mot souvent relié à la violence. Pour faire face à l’insécurité qui règne en Bulgarie, le nouveau Premier ministre nomme Delyan Peevski à la tête de l’Agence de la sécurité nationale. Seul hic : Peevski est un puissant rentier qui contrôle la majorité des médias et tire sa notoriété des rapports étroits qu’il entretient avec la SIC, un groupe de mafieux dangereux qui extorquent des fonds. Il n’en faut pas plus au peuple pour investir la rue. Dès le soir de sa nomination, des dizaines de milliers de personnes battent le pavé.

 L’explosivité de l’affaire atteint un tel niveau que les manifestants ne réclament plus uniquement la démission de Peevski, devenu l’ennemi numéro 1 du peuple, mais une refondation des règles démocratiques : changement de Constitution, du Code électoral, hausse des revenus, baisse des prix… En ce 14 juin, les appels à la démission et à la fin de l’oligarchie ont remplacé la quiétude qui règne habituellement devant le Parlement, où les élus sont assis sur des coussins moelleux et sirotent leur rakia. La rupture de confiance entre citoyens et politiques est consommée. Et semble sans retour.

Vincent Bourquin

La suite de l’article sera bientôt mise en ligne sur Buzzles.

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