Jean-Louis Murat : « Je suis un ouvrier de la chanson »

Le chanteur a ouvert le Festival du livre Jeudi soir, sur la scène du parc du Château. Deux heures avant son concert à Mouans-Sartoux, Jean-Louis Murat nous a accordé un entretien, à la croisée des chemins entre culture, éducation et société. Tout en coups de gueule, bien sûr.

Quelle est la raison de votre présence au festival du livre ?

Jean-Louis Murat : Je ne sais pas, il faut demander aux organisateurs. Vous savez dans ce business, il y a un tourneur, il y a des gens qui organisent des manifestations comme celle-ci, et qui invitent des gens. Mais je ne pourrais pas vous en dire plus. Les gens pensent que nous, artistes, maîtrisons beaucoup de choses mais en réalité on ne maitrise pas grand chose.

Il y a quand même une bonne partie du festival qui est dédiée à la jeunesse par exemple. En tant que passeur de culture, ça ne vous stimule pas d’extirper ces jeunes lycéens de la téléréalité pour les ramener vers la musique, la poésie ?

JLM : Je peux vous faire une réponse à la con : si sur une centaine il y en a un qui… (il coupe). Hélas, je ne pense pas que ça ait une grande influence. Moi aussi j’ai des jeunes enfants et je vois comment ça se passe à l’école.

Ca se passe comment ?

 JLM : Ils en ont plus rien à foutre des bouquins. Je pense plutôt au rôle des parents. S’il n’y a pas de bibliothèque à la maison, si personne ne lit à la maison, s’ils ne voient pas papa ou maman ou je ne sais pas qui lire à la maison, les enfants ne vont pas lire. A mon avis, c’est plutôt les parents qu’il faudrait rééduquer. C’est plutôt les parents qui donnent le mauvais exemple. On est toujours là en train de taper sur les nouvelles générations, on dit « lui il sait pas écrire en français ». Mais j’ai des enfants à l’école, ils ont des instituteurs et institutrices qui maitrisent pas le français, qui font des fautes. Ca remonte à loin cette affaire. On ne peut pas toujours taper sur les nouvelles générations en disant que ce sont des vrais crétins. Donc pour la lecture, ça revient au même. Je crois beaucoup aux vertus et aux valeurs d’exemple. C’est l’exemplarité surtout qui peut aider à former les gens. Parce que leur dire ceci ou cela, bon… L’espèce humaine est paresseuse. Si on lui donne des produits à la con pour lire un bouquin de 300 pages en 3 pages, elle le fera. C’est la société qui organise la paresse avec une extrême subtilité. D’ailleurs, elle vous fait payer des abonnements pour être paresseux. L’industrie du net est très forte pour ça, pour rendre payant ce qui avant était gratos.

Sans langue de bois, l'artiste évoque sa musique, mais
Sans langue de bois, l’artiste évoque son rapport à la musique et à la société. Crédit photo : Nicolas Faure

La musique, c’est votre échappatoire dans une société ultra-normée ?

JLM : Oui. Arrivé à un certain âge, sur toutes les propositions que peut vous faire la société, il n’y a plus rien qui plait. Je comprend les gens qui me disent « moi y’a rien qui me branche ». Quand on me ramène à 12 ans ou à 15 ans et qu’on me demande ce qui me branche, je réponds « rien ». Dans toute cette merde, qu’est-ce qui peut te brancher ? Alors moi, j’ai résolu un peu le problème. Je me suis dis que je n’avais pas envie de travailler, pas envie d’avoir de chef, pas envie d’avoir d’horaires. En fait, je voulais être dépendant d’à peu près rien. Très longtemps, je n’étais pas à la sécurité sociale, je n’étais pas intermittent, j’avais rien, j’avais pas de carte d’électeur. Je vivais uniquement avec de l’argent liquide, totalement dans la marge, en faisant de la musique. Je m’y retrouvais, j’étais bien. Les parents qui disent « mon fils, il a quinze ans et il sait pas ce qu’il veut faire », il faut leur dire que c’est tout à fait normal vu toutes les propositions à la mords-moi le nœud. La seul proposition qui tienne, ou presque, c’est de se dire « je veux pas avoir de chef, pas avoir d’horaires, je ne veux pas avoir d’activité. En fait, je ne veux pas travailler ». Ce qui ne veut pas dire pour autant être un poids pour la société, ce n’est pas du tout ça. Mais plutôt faire les choses par passion, par plaisir. Je me met jamais dans une situation où il faut que je travaille, donc à chaque fois qu’on me propose quelque chose qui pourrait s’apparenter à une sorte de commande où il faudrait que je plie un tant soit peu les genoux devant quoi que ce soit, le pouvoir, l’argent, la réputation, la respectabilité ou je ne sais quoi, je ne plie absolument pas, je les emmerde.

« Ce que je reproche le plus à la société, c’est le fait que la marge n’existe plus »

Votre engagement, c’est aussi votre désengagement politique…

 Je n’ai jamais voté de ma vie. J’adore la marge, voilà. C’est peut-être ce que je reproche le plus à la société, c’est le fait que la marge n’existe plus. On peut plus vivre en mode marginal. La société devrait laisser la possibilité aux gens de vivre convenablement et de la servir tout en étant dans la marge. Malgré mon grand âge, je ne change absolument de ligne de conduite. Je fais de la musique par instinct de survie mais c’est un instinct passionné de la survie.

Ca ne vous est jamais venu à l’esprit de retranscrire votre poésie à l’écrit ?

 JLM : Je pense qu’il y a assez d’écrivains comme ça, je n’ai pas besoin de m’y mettre en plus. Régulièrement, les éditeurs me demandent si je ne veux pas faire ceci ou cela, mais en réalité l’écriture des chansons me va tout à fait. Et le reste de ce que je peux écrire, je le garde pour moi. Je ne recherche pas la notoriété. Je déteste les artistes qui pensent être assez talentueux pour jouer au théâtre, dans des films, écrire des bouquins ou dresser des éléphants. Faisons déjà une chose bien, on verra après.

Qu’est-ce que vous ressentez, à quoi vous pensez avant de monter sur scène ?

 JLM : L’idéal, c’est de penser à rien. C’est comme tout. Si t’as rendez-vous avec une fille et que t’y penses toute la journée, ça va mal se passer. Avec les années, ça peut m’arriver de raconter des histoires ou de rigoler seulement vingt secondes avant de rentrer sur scène. C’est une fois rentré que je me concentre sur la dizaine de pas qui me sépare du micro. Je n’ai pas de sorte de rituel, je n’aime pas quand on en fait trop sur le métier d’artiste. Nous sommes des gens tout à fait normaux. Le mec qui fabrique une chaise, il va pas réfléchir toute la nuit sur comment il va faire le truc. Donc j’aime bien rester dans une vision strictement ouvrière, ou artisanale, de mon job. Voilà, c’est ça : un ouvrier de la chanson.

Antonin Deslandes

Une réflexion sur “Jean-Louis Murat : « Je suis un ouvrier de la chanson »

  1. je souhaite rencontrer j l Murat pour lui demander d’être le parrain d’une association Rêves réaliser le rêve d’enfants trés malades ,j’aime ce chanteur il est vrai .merci.

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