Parcours de deux syriens : l’histoire d’un long combat pour leur liberté d’expression 

Syriens et frères, Sameh et Wahel ont vécu ce genre d’expériences qui marquent à vie, à commencer par la guerre. Tous deux l’ont subi différemment mais leurs chemins parfois se coupent et se recoupent. Avec comme mot d’ordre : liberté.

« Mon prénom signifie « indulgent » » expose d’entrée le jeune homme de 26 ans, quand on lui demande de se définir. Éclaircir la signification de son prénom pour se présenter est assez perspicace de sa part. Sameh a dû quitter son pays il y a un an et neuf mois pour fuir la guerre. L’indulgence est une grande qualité qui lui permet d’accepter  l’administration défaillante de son pays. Le jeune homme bénéficie d’une bourse syrienne, grâce à laquelle il peut étudier en France. « Je n’ai pas reçu ma bourse depuis 3 mois, heureusement que j’ai économisé sur les bourses précédentes et que j’ai un petit boulot de prof de français de temps en temps. »

Quand le deuil s’empare de sa fac

Sameh étudie actuellement à la faculté de lettres de Nice. Il a donc tout le loisir de s’exprimer à longueur de journée sur les bancs de l’université. Mais lorsque l’on vient de Syrie comme lui, « s’exprimer » prend un sens totalement différent…
L’université où étudie Sameh est en partenariat avec l’université d’Alep ; celle-là même qui a été bombardée le 15 janvier. Près de 90 personnes y ont trouvé la mort. « J’ai deux amis qui y sont restés, ils étudiaient la littérature française, la même matière que moi. »
L’université d’Alep a été le lieu de départ de la rébellion étudiante. Par les bombardements, c’est le symbole de la liberté d’expression que l’on a cherché à atteindre. Le jeune Syrien devra retourner dans cette université lorsque sa carte de séjour expirera en 2014.
A l’heure actuelle, les cours ont été suspendus. Il est extrêmement difficile pour les étudiants d’échanger leurs points de vue en matière de politique. Les rassemblements sont interdits près des lieux de prière, un climat de peur règne. Du coup, il ne reste  que les W-C pour converser librement.  » Je vais m’exprimer, comme on dit chez nous  » lâche Sameh, amusé. En clair, il va aux toilettes.

Sameh au travail. Photo : L.D.
Sameh au travail. Photo : L.D.

Une fratrie pas comme les autres

Si le jeune homme évoque avec humour la liberté d’expression boiteuse de son pays, il plaisante bien moins quand on lui demande de parler des méthodes de lutte. C’est avec émotion qu’il évoque certaines manifestations. « Mon petit frère est souvent revenu à la maison couvert de sang, pas le sien, celui de ses amis, qu’il a dû emmener à l’hôpital. Il a vu la mort en face plus d’une fois. »
Contraint par la guerre d’arrêter ses études, Wahel, le frère de Sameh, et plusieurs de ses amis ont organisé une armée pacifiste à Alep. Le but : lutter contre le régime qui les empêche d’étudier, de s’exprimer, de raisonner. Ils l’ont nommée « L’armée honnête », car elle n’agit qu’en cas de légitime défense, et personne ne porte l’arme. Mais l’armée du régime ne tolère pas l’opposition, et l’un d’eux a été tué.

L’exil s’impose

Il a fallu plusieurs mois pour effectuer le voyage de Syrie jusqu'en France. Photo : L.D.
Il a fallu plusieurs mois pour effectuer le voyage de Syrie jusqu’en France. Photo : L.D.

Du haut de ses vingt ans, Wahel a fait un choix crucial : fuir son pays. Il a pris cette décision, il y a cinq mois et a entamé un périple des plus éprouvants. Durant tout le voyage, Sameh est resté en contact avec lui. Facebook, Skype, les réseaux sociaux sont précieux pour organiser l’exil de Wahel. « Mon frère achète souvent des puces du pays où il se trouve. Il me téléphone et je peux le renseigner sur les villes où il peut trouver des bureaux de change et des passeurs. Sans mes renseignements, il ne pourrait rien faire. Il ne parle pas la langue, il ne peut pas travailler, il serait bloqué. » Le grand frère tient également un poste de « secrétaire » : « Il m’envoie son passeport pour pouvoir rester sur certains territoires en tant que sans-papiers. Quand il est certain de passer la frontière, alors je lui renvoie son passeport. » Être arrêté par la police en présence de ses papiers peut en effet se révéler paradoxalement rédhibitoire pour passer les frontières.

Retrouvailles tant attendues

Sameh a ainsi pu suivre le périple de son frère petit à petit, frontière après frontière. Les deux frères se sont retrouvés le jeudi 24 janvier à la gare de Vintimille, en Italie. Autour d’un bon repas le soir même, de l’autre coté de la frontière, la discussion bat son plein. Chacun profite encore un moment de l’autre, puis Wahel repartira. Il recherche un pays où les lois sont favorables aux exilés et au rapatriement familial. Car c’est à toute une famille que Sameh et Wahel cherchent à redonner la parole.

Lucile Dalmasso

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