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Des pesticides jusqu’aux racines
L’association Générations Futures a publié mardi 29 avril une étude sur l’exposition des enfants aux pesticides perturbateurs endocriniens. Les 29 enfants participant à l’enquête vivent en zone agricole. Les échantillons de cheveux analysés révèlent la présence d’un cocktail de pesticides, dont certains sont interdits.
Générations futures et les pesticides perturbateurs endocriniens
Agréée par le ministère de l’écologie, cette association est spécialisée dans les risques sanitaires et environnementaux. L’étude vient compléter d’autres campagnes menées ces dernières années. La présence de pesticides dans les cheveux d’employés viticoles et de riverains avait déjà été confirmée en 2013. Deux autres enquêtes publiées en mars et juillet 2013 traitaient de l’exposition aux pesticides perturbateurs endocriniens (ou EXPPERT). Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances naturelles ou artificielles étrangères à l’organisme, susceptibles de troubler l’équilibre hormonal des individus exposés. Le fœtus et les jeunes enfants sont les plus menacés par ces molécules qui peuvent altérer la croissance, le développement, l’humeur et le comportement, tout comme la fonction sexuelle et reproductrice. Le 3ème volet de cette étude doit donc « montrer l’urgence de l’action préventive » par rapport à ces pesticides.
Une étude inédite
Les 29 enfants ayant participé à l’enquête sont âgés de 3 à 10 ans, et vivent dans des zones agricoles. Les parents ont effectué les prélèvements de cheveux, envoyés par la suite à un laboratoire du Luxembourg , spécialisé dans l’exposition des populations à divers polluants. Parmi ces enfants, 13 vivent dans des zones de grandes cultures (de maïs, par exemple), 13 dans des zones viticoles. Les autres résident dans des zones maraichères et arboricoles, ou encore en ville. L’étude a pris en compte la proximité entre les enfants et les « zones pulvérisées » : 30 % d’entre eux sont scolarisés dans un établissement à moins de 50 mètres d’une zone touchée par les pesticides, et 63% habitent à moins de 50 mètres de telles zones. L’utilisation d’un shampooing anti-poux ou encore le mode d’alimentation ont également été pris en compte. Selon l’association, les résultats sont édifiants : 80 % des enfants auraient été exposés, alors que 98% des parents affirment ne pas travailler dans un secteur où l’on manipule des pesticides. Sur les 29 échantillons, 624 résidus de pesticides PE ont été retrouvés, soit 21,52 en moyenne, les résultats allants de 17 à 28 selon les enfants. Sur les 53 substances recherchées, 35 ont été recensées au moins une fois, et 13 perturbateurs endocriniens ont été détectés dans tous les échantillons. Parmi ces substances, 7 d’entre elles sont interdites en usage agricole. Générations Futures affirme le caractère inédit de cette enquête, qui serait la première menée par la société civile, à aborder l’exposition des enfants aux pesticides PE à partir d’échantillons de cheveux.

Avec 75 000 tonnes consommées par an, la France est le premier utilisateur européen de pesticides, et le quatrième consommateur mondial. Crédit: D.R.
Les pesticides PE, un combat de longue haleine
Grâce à cette étude, l’association souhaite mettre en lumière le débat sur l’exposition aux pesticides : dans un communiqué, elle affirme qu’ « il est urgent d’agir dès aujourd’hui ». Certains pays, comme l’Allemagne et l’Angleterre, souhaiteraient affaiblir arbitrairement la définition des perturbateurs endocriniens, c’est pourquoi « le gouvernement français doit être ferme ». Générations Futures défend à terme un projet ambitieux qui serait d’interdire les perturbateurs endocriniens. Un objectif défendu notamment par John Kerry, le Secrétaire d’Etat des Etats Unis dans une proposition de loi en 2009 lorsqu’il était sénateur. La France prépare une Stratégie Nationale sur les Perturbateurs Endocriniens (SNPE), qui devait voir le jour en juin 2013. Reporté jusqu’à fin avril, le texte doit encore être discuté lors d’un Comité National de Transition Ecologique (CNTE). Selon Générations Futures, les enjeux sont plus grands au niveau européen. La Commission Européenne devait proposer une nouvelle définition des PE sur des critères scientifiques avant fin 2013, au vu des enjeux financiers des pesticides. Avec cette étude (EXPPERT3) l’association a voulu alerter la population face aux risques des PE, et éclairer les questionnements du public concernant l’exposition des enfants notamment. L’échantillon étudié est volontairement restreint, mais pour l’association, il s’agit de rappeler que l’Europe a proposé en 2011 d’interdire les perturbateurs endocriniens, ce qui n’est toujours pas d’actualité.
Eva Garcin
Un article complexe sur un sujet méconnu du grand public, car il est assez rare d’entendre évoquer les perturbateurs endocriniens. Si l’article est tout à fait conforme à ce que l’on peut attendre d’un écrit sur un tel sujet, je suis assez surpris par la méthodologie de cette association. Elle attaque un créneau très précis, les produits phytosanitaires, vous me direz qu’il faut bien commencer par tirer l’écheveau par un bout! Mais c’est peut-être aussi parce que c’est le plus facile à observer et le plus dénigré par les associations favorables au « bio », sans nier que c’est aussi incontestablement le plus facile à limiter…
Mais cela relève d’une méthodologie très parcellaire, car les perturbateurs endocriniens sont de partout. Si vous approfondissez le sujet, vous vous apercevrez vite que malheureusement le projet de les interdire relève quasiment du vœu pieu. A faire des prélèvements de cheveux, il aurait été intéressant de comparer ceux de ces jeunes ruraux avec ceux d’enfants habitant par exemple près d’un périphérique, les gaz d’échappement relevant de la classification « perturbateurs endocriniens ». Le problème est donc similaire, mais la source du problème plus difficile à supprimer !
Il est sans doute nécessaire d’interdire ces produits, mais à condition bien sûr de s’intéresser aux autres et également au sort de ces produits ailleurs qu’en France. Il y a déjà eu des précédents, comme avec le DDT. Ce bon vieux DDT qui, il y a quelques décennies encore, servait aussi bien à occire les doryphores dans les champs de pommes de terre (et avec eux, tous les autres insectes) que les poux sur les têtes blondes des enfants, a été interdit, à juste titre, et nous sommes donc rassurés. Oui, mais…il est encore utilisé à haute dose dans certains pays et nos produits alimentaires d’importation peuvent en être confits !
Il y a les PCB, polluant tous les fleuves français et nombre de rivières. Ces PCB ont une durée de vie extrêmement longue, sont ingérés par les poissons, mais non digérés et contaminent toute la chaine alimentaire y compris l’homme. Ces PCB ont d’ailleurs entraîné la disparition de la pêche professionnelle sur la plupart de nos fleuves.En Europe la production des PCB semble stoppée mais le stock est réparti dans la nature.
Les perturbateurs endocriniens sont aussi dans les médicaments, et donc par évacuation, se retrouvent dans les rivières, et dans l’eau de consommation, idem pour les cosmétiques. On en trouve dans les plastiques, dans la colle du téflon, dans les moquettes, dans les jouets, dans les vêtements etc etc…
Donc oui, interdisons au maximum les produits contenant des perturbateurs endocriniens, du moins ceux où le risque est avéré, mais ne nous leurrons pas, ce ne sera ni une tâche aisée ni un succès total avant bien des années. D’autant que c’est une exploration relativement nouvelle de la science, et que les spécialistes n’ont pas que des certitudes. Par exemple on peut lire sur le site « cancers environnement » :
• « L’estimation des effets des PE sur la santé humaine est rendue très difficile en raison de nombreuses interrogations sur leurs mécanismes d’action, la multiplicité des substances concernées et des voies d’exposition, l’exposition à de faibles doses, dans la durée ou à des périodes critiques du développement (gestation, lactation, puberté, par exemple).
• Le rôle de plusieurs substances PE est à ce jour suspecté dans l’apparition de cancers hormonaux-dépendants (cancer du sein, de l’utérus, de la prostate et des testicules), mais les données actuellement disponibles ne permettent pas de confirmer ce lien.
• Pesticides : En milieu professionnel, certaines études ont montré une augmentation du risque de cancers, tels que des lymphomes non hodgkiniens, tumeurs cérébrales, cancers de la prostate, cancer de l’ovaire, cancer du poumon et mélanomes, pour des niveaux d’exposition professionnelle élevés et pendant de longues périodes. Mais un lien causal reste cependant à démontrer, car d’autres facteurs de risque présents en milieu agricole peuvent jouer un rôle dans les associations trouvées (exposition au soleil, à d’autres polluants, contact avec des virus du bétail…). »
On est donc dans un domaine complexe, et beaucoup vont vouloir faire jouer le principe de précaution, et c’est normal. Mais chaque nouveau progrès de la science peut amener de nouveaux perturbateurs endocriniens, bien innocemment ! Le cas le plus connu est celui du distilbène médicament utilisé pour éviter les fausses couches dans les années 50, donc perçu comme un indéniable progrès. Sauf que les filles, nées de mères ayant ingéré ce médicament, développaient des cancers vers l’âge de 13-20 ans, donc c’était un lien de cause à effet trans générationnel, par définition long et difficile à mettre en évidence.
De la même façon, le polytétrafluoroéthylène, autrement dit le téflon, a été une véritable révolution dans les cuisines du monde entier et ça dans les années 1970. Les ménagères et les cuisiniers étaient heureux, les œufs au plat ne collaient plus à la poêle ! Oui mais 40 ans plus tard il est apporté la preuve que la colle nécessaire au PTFE n’est autre qu’un perturbateur endocrinien.
Et de la même façon, les inventions révolutionnaires d’aujourd’hui se révèleront peut-être dans 20 ou 30 ans de dangereux poisons. On ne peut pas arrêter le progrès et l’innovation, on ne peut pas tout interdire, même sous prétexte du principe de précaution, donc il nous faut finalement vivre dangereusement, au moins tant que les impacts nocifs n’ont pas trouvé un début de preuve scientifique. Il faut que les organismes certificateurs soient vigilants, que les chercheurs aient les moyens de travailler sur un sujet d’une telle importance, que les associations fassent également leur travail, mais en prenant soin de ne pas désigner à la vindicte populaire un seul type de professionnels, comme ici les agriculteurs.
Et je voudrais conclure ce long commentaire en prenant la défense des agriculteurs. Ils sont souvent dénigrés justement du fait qu’ils utilisent des pesticides et même des engrais. Pour donner à chacun une possibilité d’être plus tolérant par rapport à cette profession, il faut se rappeler que la population des agriculteurs français, décimée par la guerre, a dû faire face entre 1945 et 1970 a une augmentation de 11.000.000 de la population française, et qu’il leur revenait l’obligation de nourrir toutes ces bouches. Or si tout le monde sait qu’il existait le rationnement durant la guerre, certains ignorent peut-être qu’il a perduré jusqu’en 1950, 5 ans après la fin de la guerre. Il n’y avait donc qu’une solution, augmenter les rendements à l’hectare, la superficie de production n’étant pas extensible. Pour cela, 2 moyens ont été imaginés et ont porté leurs fruits. Le premier est l’usage des engrais minéraux qui a permis de faire passer le rendement d’un hectare emblavé de 30 à 80/100 quintaux. Cela a même permis de faire de l’exportation vers le reste du monde qui dans le même temps avait vu sa population croitre d’un milliard de personnes. Le 2nd moyen envisagé à été la lutte contre les ravageurs des cultures. Et c’était bien sûr une lutte chimique, car efficace et rapide. L’INRA, les organismes professionnels vulgarisaient ces techniques, ce qui était normal. Et jamais les agriculteurs n’ont eu ni l’ambition, ni la volonté d’empoisonner la population ! Sauf qu’ils utilisaient les produits mis sur le marché par des entreprises qui non plus n’étaient pas des criminelles, compte tenu de l’état des connaissances de l’époque.
Aujourd’hui, dans les pays développés, la suffisance alimentaire existe. Donc la population passe d’un besoin primaire, manger, à un besoin de sécurité et de confort, manger bon et sûr. Et elle s’intéresse donc a ce que font les agriculteurs. Ces derniers ont énormément progressé techniquement, ce n’est pas pour autant qu’ils sont à même de mesurer les risques des produits utilisés. Donc aujourd’hui, si l’on doit s’en prendre à quelqu’un ce n’est certainement pas vers les agriculteurs qu’il faut se tourner, mais vers les chimistes, qui eux, ont les moyens de savoir !