Vincent Glenn : « Nous ne sommes pas obligés d’être au service de nos banques » #2/2

Après avoir présenté son livre devant une salle pleine au Festival de Mouans-Sartoux, Buzzles a rencontré Vincent Glenn, co-auteur de l’ouvrage « On marche sur la dette ». Le documentariste est revenu sur les motivations qui l’ont poussé à coécrire ce livre et sur sa singulière analyse de la dette publique française actuelle. Une réflexion aux antipodes du traitement médiatique habituel autour de ce phénomène économique.

A propos de ces politiques d’austérité que vous contestez, intéressons-nous maintenant au pays qui a longtemps été la cible de ces dernières, la Grèce. Plus de dix mois après l’arrivée de Syriza au pouvoir, le parti d’Alexis Tsipras gouverne désormais avec le parti souverainiste Anel. Comment analysez vous cette récente alliance ? Est-ce, selon vous, un frein à la politique du pays ?

Ca ne me surprend pas que de plus en plus de citoyens privilégient des solutions sur le plan national plutôt que sur le plan international. Mais je ne pense pas que prendre des décisions à l’échelle de la nation est ce qu’il y a de mieux à faire.

Je trouve beaucoup plus barbare qu’on ait imposé des politiques d’austérité très clairement, de manière hyper autoritaire et pour en plus un non-sens économique et politique car le pays ne fait que s’appauvrir encore plus. Je trouve beaucoup plus grave l’alliance de la stupidité, de l’hyper autoritarisme et la contestation de ce rôle d’arbitre qui appartient au peuple, que cette récente entente entre un mouvement estampillé gauche radicale et un mouvement qui se dit souverainiste.

« On ne peut pas m’expliquer que l’histoire humaine ne peut pas produire d’autres systèmes que celui de mettre en esclavage les populations et les individus qui se retrouvent être des agents objectifs au service des banques »

Dans votre ouvrage, vous citez Michel Rocard qui parle d’une dette française qui serait inférieure à 75% de ce qu’elle est si la Banque centrale européenne pouvait prêter directement aux pays. Mais pourrait-on faire autrement selon vous ? Passer directement par la BCE plutôt que par les banques centrales intermédiaires de nos propres pays n’est-il pas utopique ?

On fait tous semblant qu’il n’y a pas d’autres solutions mais l’humain est diaboliquement intelligent. On peut envoyer des satellites et des hommes dans l’espace, créer des nanotechnologies… On ne peut pas m’expliquer que l’histoire humaine ne peut pas produire d’autres systèmes que celui de mettre en esclavage les populations et les individus qui se retrouvent être des agents objectifs au service des banques. Nous ne sommes pas obligés d’être au service de nos banques. Mais ce sont ces dernières qui doivent servir des finalités humaines, économiques et démocratiques. Le fait qu’on ait pu penser le contraire est déjà un symptôme incroyable. Comment pouvons-nous considérer qu’être au service de nos banques est quelque chose de normal ? En ayant mis l’accent sur le développement et le business de ces banques, on en oublie des finalités réelles comme la santé et l’éducation de nos populations. Des finalités qui n’ont rien avoir avec le fait d’engraisser les banques ! Les banques permettent de nous prêter de l’argent et faire des paris sur l’avenir. Elles ont ce côté pratique et utilitaire qu’il faut reconnaître. Ce livre ne fait pas le procès des banques, on ne veut pas les abolir car elles ont une utilité. Mais il faut qu’elles restent à leur place d’outils qui servent à la communauté et à la collectivité démocratique, et non le contraire.

Première de couverture du livre « On marche sur la dette », paru le 8 mai 2015. (Crédit photo : D.R.)

Première de couverture du livre « On marche sur la dette », paru le 8 mai 2015. (Crédit photo : D.R.)

Depuis 2014, vous organisez à Paris « La fête de la dette » avec Christophe Alévêque… Mais « fête » et « dette » ne sont elles pas deux notions antinomiques ? Du moins, comment peut on fêter une dette ?

Déjà en commençant par la dédramatiser…

Dans ce cas, peut on dire que fêter la dette, c’est avant tout apprendre à la connaître ?

Oui, clairement. L’intelligence humaine a toujours fonctionné comme ça. On avait peur de certains phénomènes qu’on prétendait être magiques comme le vent, les éclairs, on pensait que la terre était plate et à un moment la vérité a éclos !

Une fois qu’on a démystifié cette dette et qu’on commence vraiment à la connaître, on a presque envie d’avoir pitié pour elle ! (rires) 2 000 milliards d’euros à côté de 17 000 milliards de patrimoine… c’est peu.

Je ne dis pas qu’elle n’a pas d’effet néfaste et qu’elle n’engendre que du positif. Mais le but de ce livre est de pointer du doigt cette analyse mensongère sur la dette qui est caractérisée comme un épouvantail à moineaux pour les hommes.

En guise de conclusion, avoir présenté cet ouvrage au Festival du livre de Mouans-Sartoux revêt-il une importance particulière pour vous ?

M’exprimer devant une salle pleine autour d’un livre qui traite de la dette m’a fait énormément plaisir. Il y a quatre ans, nous étions encore des besogneux qui essayaient de comprendre le mécanisme de la dette et qui s’alarmaient du monopole de narration des grands médias autour de ce sujet et des mauvaises informations qui sont véhiculées à ce propos. Si on nous avait dit à ce moment là que je présenterais l’ouvrage devant une salle pleine dans un festival qui réunit 60 000 personnes, je n’y aurais pas cru ! Le pire n’est jamais sûr, et parfois l’improbable advient, y compris du côté de l’enthousiasme…

Propos recueillis par Sacha Zylinski