Le sacrifice des lanceurs d’alerte

Ils risquent leur carrière pour dénoncer ce qui ne va pas dans leur organisation. En guise de récompense, ils sont exclus de la société et harcelés par d’interminables procédures judiciaires. Les lanceurs d’alerte étaient le sujet d’un atelier le jeudi 10 mars, mais aussi d’un statue installée le temps des Assises du journalisme.

« C’est une question qui n’est pas neuve, mais qui devient avec les années de plus en plus complexe et de plus en plus brûlante : la question des lanceurs d’alertes. » C’est ainsi qu’Amaëlle Guiton, journaliste de Libération en charge de l’animation de l’atelier « Lanceurs d’alerte : état des lieux, préconisations, actions » aux Assises du journalisme, le jeudi 10 mars 2016, ouvre la discussion. Parmi ses invités, il y a deux lanceurs d’alerte : Stéphanie Gibaud, ancienne responsable marketing d’UBS France qui a révélé les activités de blanchiment et de fraude fiscale de la banque suisse, et Rémy Garnier, ancien inspecteur des impôts qui fut le premier à soupçonner l’existence du compte à l’étranger non déclaré de Jérôme Cahuzac. Tous utilisent la même expression pour qualifier la vie de ceux qui osent dénoncer leur administration ou leur entreprise : une « descente aux enfers ». Harcèlement, « placardisation », et tôt ou tard, exclusion.

« Tous les lanceurs d’alerte que je connais sont au RSA et inemployables », constate amèrement Eloïse Lebourg, réalisatrice du documentaire Lanceurs d’alerte, la vie d’après« Il n’y a pas de lanceurs d’alerte heureux ? », lui demande Amaëlle Guiton. « Moi je n’en connais pas… »

« Le pire pour les lanceurs d'alerte, c'est la solitude », raconte Eloïse Lebourg. « On se retrouve tout seul. » (Crédit photo : Armand Majde)
« Le pire pour les lanceurs d’alerte, c’est la solitude », raconte Eloïse Lebourg. « On se retrouve tout seul. » (Crédit photo : Armand Majde)

Si « le point commun c’est l’isolement, la détresse, la précarité pour certains, le nœud gordien c’est la justice », remarque Stéphanie Gibaud. « Il n’y a pas un seul avocat qui veuille nous défendre », et même quand un avocat est disponible, les frais sont exorbitants. En face, leurs adversaires « ont une puissance financière infinie, et appuient partout là où ils peuvent appuyer », ajoute Rémy Garnier. Il évoque aussi un moyen facile de se débarrasser d’un lanceur d’alerte : « vous risquez aussi de tomber sous le coup d’un expert psychiatrique qui va vous dire que vous êtes atteint d’un délire de Kretschmer ». Comme Stéphanie Gibaud, il a perdu toute confiance en la démocratie et sa justice : « on est dans un Etat de non-droit absolu », s’indigne-t-il.

Alors comment aider ces lanceurs d’alerte ? Tout le monde s’accorde à dire qu’il leur faut le soutien des médias et de la société civile. Dominique Pradalié, secrétaire générale du Syndicat national des journalistes, propose aussi « un fonds d’aide juridique et financière pour les frais d’avocat ». La réflexion s’arrête là.

Une statue en hommage aux whistleblowers

Mais la sensibilisation commence dès la fin de l’atelier. Le public est invité à sortir du Centre de congrès pour aller voir une sculpture de l’Italien Davide Dormino, à côté de la gare de Tours. Intitulée Anything to say?, l’œuvre représente Edward Snowden, Julian Assange et Chelsea Manning, debout sur des chaises. Une quatrième chaise a été laissée vide par Davide Dormino, comme une invitation à aller les rejoindre. « Le courage est contagieux », explique-t-il en souriant.

Avec « Anything to say? », Davide Dormino veut « raconter l'histoire de Wikileaks », qui a selon lui « changé le monde ». (Crédit photo : Armand Majde)
Avec « Anything to say? », Davide Dormino veut « raconter l’histoire de Wikileaks », qui a selon lui « changé le monde ». (Crédit photo : Armand Majde)

La sculpture est installée à Tours le temps des Assises du journalisme. Elle sera aussi présente à l’International Journalism Festival de Perugia, en Italie, du 6 au 10 avril.

Armand Majde

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