
Une Etoile est née : elle s’appelle Bradley Cooper
En 1937, sort dans les salles de Cinéma Une étoile est née. La trame est simple : l’émergence d’une jeune femme à Hollywood, soutenue par un grand acteur qui, lui, est sur le déclin. C’est un succès critique et l’histoire connaît alors trois versions sur une quarantaine d’années. À leur tour, Janet Gaynor (1937), Judy Garland (1954) et Barbra Streisand (1976) interprètent le personnage principal. Cette tragédie hollywoodienne par excellence, intemporelle et toujours efficace, touche chaque génération et devient un mythe. La simplicité de l’énoncé justifie le nombre de film qui en sont dérivés, au-delà même des quatre variantes « officielles » de l’histoire (Chantons sous la pluie, Mulholland Drive, The Artist, etc.). « Cette histoire est faite pour être racontée tous les 20 ans », disait Barbra Streisand. Une histoire d’ailleurs toujours très convoitée par les réalisateurs, puisque Will Smith et Whitney Houston dans les années 1990, puis Clint Eastwood qui cherchait un partenaire à Beyoncé pour produire sa version, ont tous sérieusement envisagé de donner leurs visions du mythe. Mais c’est finalement Bradley Cooper qui, pour sa première en tant que réalisateur, nous présente A Star is Born, 46 ans après la dernière version.
C’est donc Bradley Cooper qui incarne, dans son film, Jackson Maine, une célébrité légèrement sur le déclin qui tombe par hasard sur Ally, une serveuse qui, avec son interprétation de « La Vie en Rose » dans un cabaret Drag-Queen lui tape tout de suite dans l’œil. Il l’introduit alors au milieu du Show Business et la projette sur le devant de la scène.
Même s’il tourne autour de la musique, ce film n’est pas une comédie musicale, est c’est tant mieux car, semblant trop sérieux pour le genre, c’est un véritable drame dans son ensemble, à l’opposé de films comme Mamma Mia ! (2008) où même La La Land (2016) ; bien qu’on puisse voir énormément de points communs avec ce dernier.
Le film dénonce le fonctionnement du Star-System actuel. Lorsque l’on découvre Ally, c’est une femme timide mais passionnée, qui a du caractère. Cependant on observe, au fur et à mesure qu’elle gravit les échelons, sa standardisation jusqu’à devenir un produit de consommation, vide de personnalité et totalement contraire à ce pour quoi elle avait d’abord été repérée. « Je ne veux pas perdre la part de moi qui a du talent », dit-elle consciente de ce qui lui arrive. On découvre le manque d’humanité d’un milieu qui en amène même certains à sombrer dans l’alcool et la drogue. Il est très compliqué de garder sa personnalité et son intégrité lorsque l’on devient célèbre, ce que démontre parfaitement Bradley Cooper dans son œuvre. Il témoigne aussi de pression que subissent les artistes de la part de leurs agents : la vie de « star » n’est pas parfaite.
Oubliez Lady Gaga, voici Stefani
La performance des acteurs constitue certainement une des principales qualités du film. Bradley Cooper est excellent dans le rôle de la star dont la popularité et la réputation en chute déteignent sur le comportement. La métamorphose de sa voix est impressionnante : il nous offre un bel accent arizonien, qui permet aussi, sans rentrer dans le cliché du chanteur country, de témoigner de sa « ringardise ». Mais la vraie star, c’est Stefani Germanotta qui, pour son premier rôle principal nous offre, avec le rôle d’Ally, une incroyable performance. Le choix de l’actrice aurait pu paraître comme un pari trop risqué, mais c’est bel et bien une réussite. Débarrassée de sa tenue extravagante de Lady Gaga, elle incarne cette serveuse dont la beauté imparfaite dégage un charme fou. Sa performance émouvante sur 2h15 nous fait totalement oublier le reste de sa carrière, notamment musicale : on est en face d’Ally, il n’y a plus de Lady Gaga. L’actrice a d’ailleurs connu une évolution de carrière relativement similaire. Elle aussi s’est parfois remise en question et apporte justement de la profondeur au personnage par sa connaissance du sujet.
L’alchimie que forment les deux acteurs opère de manière extrêmement convaincante. Sans dialogue, on ressent une connexion dès leur première rencontre et leur relation tout au long du film, compte tenu des événements, évolue logiquement, de manière réaliste. Une performance scénaristique compte tenu de la majorité des films grand public.
La naissance d’un grand réalisateur
Pour son premier film en tant que réalisateur, il est clair que Bradley Cooper a du talent. Il nous propose une très belle mise en scène et son obsession des visages met justement en valeur le jeu des acteurs en augmentant l’importance des émotions faciales. Beaucoup de scènes du film sont relativement plus longues que la moyenne, ce qui apporte une fluidité et un réalisme surprenant aux séquences, en plus d’une immersion plus efficace du spectateur, à l’inverse d’une succession de « champs-contrechamps » et d’un montage hyperactif contreproductif qui fatiguent le spectateur plus qu’autre chose. C’est notamment le cas dans le plan d’ouverture dont on voudrait qu’il ne se termine jamais mais aussi lors des autres scènes de concerts qui ont été tournées en live sur de vrais festivals comme Glastonbury ou Coachella. Par son travail méticuleux, il parvient, à l’aide des jeux de lumière, des gros plans et des mouvements de caméras, à capturer chacun des éléments qui sont spécifiques aux concerts. De plus, il intègre le spectateur sur scène au cours de ces séquences endiablées qui repoussent les limites du réalisme.
Cependant, pour son premier film, on peut noter certains défauts. En plus de quelques longueurs en deuxième partie, il ne semble pas parfaitement maîtriser son jeu d’ellipses qui n’est pas suffisamment claire. Le spectateur n’a donc aucune sensation du temps qui passe et peut être parfois perdu. L’ajout de dialogues explicatifs, parfois lourds, est alors nécessaire pour bien comprendre certains enjeux.
La relation conflictuelle entre Jackson et son frère (incarné par Sam Elliott), séparés d’une génération, aurait pu nous offrir une belle piste pour témoigner d’une réelle évolution chez le chanteur, mais en seconde partie, le conflit se règle finalement en un dialogue (bien que cette scène dans la voiture soit incroyablement touchante). Nous étant présenté comme alcoolique dès le début, le chanteur n’évolue pas non plus réellement au long du film sur ce point de vue. Un aspect toutefois intéressant est son implication dans le succès d’Ally, puis qu’il finit par incarner, plus tard, par ses addictions et son comportement choquant, une réelle menace pour la carrière da la chanteuse.
Bradley Cooper a donc des progrès, principalement scénaristiques, à faire, mais il ne fait aucun doute qu’il progressera encore. Il a un bel avenir devant lui, au point d’être déjà comparé à Clint Eastwood. En effet, le nouveau réalisateur partage des points communs avec l’octogénaire, notamment dans le genre de film proposé, à voir s’il fera constamment dans le dramatique.
Les deux premières versions de A Star is Born traitaient du milieu du cinéma. C’est la version de 1976 qui a innové en adaptant l’histoire au milieu de la chanson, concept qu’a copié Bradley Cooper en complétant avec ses propres idées. La version musicale permet alors d’enrichir considérablement l’histoire avec une bande originale marquante qui ajoute une empreinte au film. Très émouvants et témoins des humeurs des personnages, ou volontairement en rupture afin de dénoncer quelque chose, chaque morceau est parfaitement justifié. Lady Gaga et Mark Ronson sont à l’origine des nombreuses compositions originales qui valorisent le film et certaines d’entre elles sont splendides. « Shallow », par exemple, vous donnera des frissons à tous les coups. Tous les morceaux servent efficacement leur instant et au passage offrent un excellent album.
Pour une quatrième version du mythe hollywoodien, Bradley Cooper et Lady Gaga détonnent et cartonnent dans un condensé d’émotions. Dénonçant des faits actuels avec brio et fort d’un réalisateur en reconversion qui maîtrise parfaitement la caméra, A Star is Born est un sérieux prétendant à de nombreux oscars et signe indéniablement le début (ou la renaissance) de deux carrières prometteuses.
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Thomas Gallon