Le bar Hobbit, un refuge qui s’effondre

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Delia Buonuomo accueille depuis 2015 les migrants qui atterrissent à Ventimille dans son bar, Le Hobbit. Dès le début de l’urgence humanitaire, son action a aidé de nombreux étrangers. Maintenant, elle risque de tout perdre.

Idéalement situé, Le Hobbit se trouve dans une petite ruelle à quelques pas de la gare de la ville frontalière. La gare de l’espérance comme on l’appelait avant, recevait les italiens du Sud qui venait se construire une nouvelle vie et trouver du travail en France. Seules deux personnes sont devant la porte d’entrée, ce qui nous fait comprendre que nous sommes au bon endroit. Autrement, le bar passe un peu inaperçu. À l’intérieur, le vide. Puis apparaît la petite tête souriante de Delia derrière le comptoir. « Arrivo subito ! » crie-t-elle lorsqu’on franchit la porte. Pendant qu’on s’installe, elle fait le tour du bar puis arrive vers nous en boitant, signe de ses récents problèmes de santé. Elle commence à nous raconter l’histoire du Hobbit.

Derrière le comptoir, Delia sert ses amis. Les seuls qui viennent encore au bar.
© Lolita Aboa
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Plongés dans ses yeux fatigués entourés de grosses cernes, on ne peut que ressentir la compassion en l’écoutant. « C’était le début du pic de l’influence migratoire en Italie, en particulier ici. C’était impossible de ne pas les voir. Ils étaient nombreux à la rue, il y avait beaucoup de femmes et de bébés sans rien à manger. Ils dormaient sur les trottoirs. Un jour, je me suis dit qu’elles pouvaient être mes filles, comme ça, dans la rue, sans rien ni personne. En tant qu’individu, je me suis sentie humainement obligée de leur tendre la main. ». Et c’est ce qu’elle a fait et continue de faire à ce jour. En 2015, elle a accueilli ces femmes dans son bar, pour qu’elles aient un lieu où elles pouvaient s’occuper de leurs enfants correctement, les laver et les nourrir. Surtout pour qu’elles se reposent. Aujourd’hui, elle reçoit tous ceux qui osent franchir la frontière. Selon les derniers chiffres, plus de 35 000 migrants transitent par Ventimille par an, pour traverser la frontière et atteindre la France. Mais plus les flux sont importants, plus les habitants de la ville se révoltent.

« À cause de mon geste, j’ai perdu mon travail »

Delia, a aussi été immigrée. Partie avec sa famille en Australie à l’âge de 4 ans, elle n’est revenue qu’à 12 ans. Confronté à son pays d’origine, tout lui paraissait différent par rapport à ce qu’elle avait connu de l’autre côté de la planète. Ne parlant qu’anglais à l’époque, elle s’est sentie exclue. Maintenant elle lutte précisément contre cela : « J’ai commencé petit à petit, je n’ai pas fait la révolution à Ventimille. Je les ai fait rentrer dans mon bar, j’ai acheté et récupéré des bonbons et des jeux pour les plus petits. Puis, j’ai cherché des personnes qui voudraient bien m’aider, qui voulaient bien jouer avec eux de temps en temps pour qu’ils se sentent moins seuls. ». Il n’y a pas de paroles justes selon elle. Mais ses actes en disent beaucoup. Buonomo son nom de famille, veut dire « homme bon » en italien. Malgré sa petite taille, ses airs de grand-mère et ses problèmes de santé, elle fait face aux policiers de la ville et aux citoyens pour défendre les migrants, qu’elle considère tous comme ses enfants. Peu de gens dans la ville la soutiennent, même le maire. Elle a été menacée et on lui a craché dessus. Elle a même été obligée de changer les serrures de ses portes et d’installer des caméras de surveillance. Ceux qui avant venaient boire un café et jouer aux cartes, lui ont tourné le dos. Plus personne ne vient au Hobbit. Désormais, le bar est entre la vie et la mort : « Les gens ici sont racistes et ignorants. Voilà pourquoi ! Ce qu’on fait ici est un travail d’entraide. Mais quand on fait une bonne action, il n’y a pas de droite ou de gauche ; il n’y a pas de blancs ou de noirs, car au fond tous nos cœurs sont rouges ». Les bonnes actions ne suffisent pas malheureusement à payer les factures. En 2018, Delia n’arrivait plus à joindre les deux bouts. Elle décide finalement de fermer le bar et de le mettre en vente. Avec un peu d’aide des associations dans la Roya qui aident aussi les migrants, une campagne de crowdfunding a été créée pour sauver son entreprise. En huit jours, 705 personnes y ont contribué. Ils ont récolté plus de 22 000 euros dépassant les 20 000 espérés. Le succès, hélas, est temporaire. Un an après, le bar risque une seconde fois de fermer. « Je ne sais pas encore combien de temps ça va durer. Économiquement, la situation n’est pas la meilleure… nous confie-t-elle le désespoir dans la voix. À cause de mon geste, j’ai perdu mon travail. ».

Les chaises et les tables sont vides. L’aide humanitaire apportée aux migrants, a fait fuir la clientèle.
© Lolita Aboa
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Pour l’aider à rester à flot, beaucoup d’associations françaises comme italiennes se réunissent chez elle pour discuter, prendre un café, grignoter un petit plat fait maison. Ce jour-là, derrière la porte de la cuisine, l’association féministe GRAF de Nice est en réunion avec leurs consœurs italiennes. Une militante raconte qu’elles viennent au Hobbit à chaque réunion avec les féministes italiennes, parce que « c’est un lieu de rassemblement où tout le monde partage les mêmes valeurs et l’ambiance est sympathique. Et puis Delia est juste merveilleuse. ».

La « Mamma Africa »

La patronne du bar sert deux espressos à des amis venus lui rendre visite. Elle commence à décrire la situation de la ville dans le cas où le bar fermerait. « Beaucoup de gens ne pourront pas avoir d’aide. C’est un support humanitaire qui disparaîtra de la ville. » Et en ce qui concerne sa vie personnelle, la « mamma » comme on l’appelle, continue : « Moi ? On s’en fout. Je rebondis. Avec le travail que je fais et les années d’expérience que j’ai, je trouverais facilement du travail ailleurs. Je peux toujours me débrouiller. C’est pour eux que je m’inquiète. ».

Il y a cinq ans, l’Église San Antonio a accueilli 700 à 1000 migrants, avant de devoir fermer pour rénovation. Adam, habitué du Hobbit, raconte : « quand l’Église a fermé, on n’avait plus nulle part où aller. Le camp [de Roja] est toujours plein. Sans Delia, je ne sais pas qu’on aurait fait. Elle est très courageuse de nous avoir accueillis. On l’appelle tous Mamma Africa parce qu’elle est un peu notre mère à tous. ». Originaire du Soudan, Adam est en Italie depuis cinq ans. Il avait pour projet de traverser la frontière, mais a finalement décidé de rester sur place. Il a trouvé un travail à Ventimille et ramène des personnes qui ont besoin d’aide dans ce refuge qu’est devenu le Hobbit. Nourriture, vêtements, chaussures, toilettes, contacts, Delia donne tout ce qu’elle peut offrir aux nouveaux arrivants. Selon Adam, si les clients ne viennent plus, ce n’est pas parce qu’ils sont racistes. « Ils sont juste ignorants. Ils ont peur, ils ne comprennent pas et ils ne connaissent pas nos histoires. Une personne raciste en revanche, refuse de nous comprendre. C’est différent. ».

La sainte de Ventimille en tout cas, ne se pose pas de questions sur ses actions. « Des regrets ? Non, absolument pas. Aucun regret. Et m’y prendre autrement serait impossible ».

Kimberley Lestieux
Lolita Aboa

Une réflexion sur “Le bar Hobbit, un refuge qui s’effondre

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