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Horizon 2022 : opération séduction des jeunes sur les réseaux sociaux
Les apparitions de personnalités politiques aux côtés d’influenceurs aux communautés qui comptent des millions d’abonnés se multiplient. Que ce soit Tibo InShape, Enjoy Phoenix ou plus récemment McFly et Carlito, tous ont en commun un atout que recherchent les futurs candidats à l’élection Présidentielle : l’attention de la population la plus abstentionniste. Aux dernières élections européennes, seuls 27 % des 18 et 24 ans se sont déplacés aux urnes.
Loin des médias traditionnels et des journalistes, les réseaux sociaux sont le terrain d’attaque favori des partis politiques et notamment de l’Élysée qui sort le grand jeu. Emmanuel Macron lance un défi, au duo de youtubeurs qui pèse 6,46 millions d’abonnés Mcfly et Carlito. Face caméra, le Président de la République lançait : « Faites une vidéo pour réexpliquer ces gestes (barrières, NDLR), et l’importance de les respecter ». Le chef de l’État leur promettait que s’ils atteignaient les 10 millions de vues sur cette vidéo, les deux youtubers pourraient en tourner une à l’Élysée. David Coscas (Mcfly) et Raphaël Carlier (Carlito) ont accepté ce défi en demandant à Emmanuel Macron de participer à un concours d’anecdotes, jeu phare de leur chaîne YouTube. La chanson « Je me souviens » sur les gestes barrières, mise en ligne le 21 février, a été vue plus de 14,5 millions de fois. Anticipant les critiques des internautes, les deux hommes ont mis en garde face à la récupération politique : « Évidemment que c’est politique, évidemment que c’est malin. Il ne fait pas ça juste pour nous faire plaisir, il y a les élections dans un an. » Mais la pression est forte pour les deux youtubeurs qui concrétisent par la reconnaissance audiovisuelle un potentiel tournage dans un lieu symbolique, le Palais de l’Élysée.
Il faut faire la différence entre la personne particulière, Emmanuel Macron, et le Président de la République, qui est le chef de l’État et représente la France. En théorie, cette remarque est pertinente. Mais en pratique, il est difficile de faire la différence. Lorsqu’Emmanuel Macron demande à McFly et Carlito une vidéo sur les gestes barrières en échange d’un tournage à l’Élysée, est-ce le Président qui parle ou le candidat LREM ? Maintenant que LREM est au pouvoir, il est difficile de dissocier les informations gouvernementales et la communication de campagne du parti.
« Twitter, c’est pas la France »
Sur les réseaux sociaux, la communication du Président de la République vise un nouveau public. D’après le mémoire de master de Sciences Politiques de Julien Roman, « il est important de souligner que le public de Twitter se distingue par une appétence pour l’information politique ». L’étudiant s’est entretenu avec plusieurs experts de la communication gouvernementale, dont Gaspard Gantzer, chef de la communication de l’Élysée sous Hollande. Celui-ci explique que « Twitter c’est pas la France. […] Quand on parle sur Twitter, […] c’est d’abord un public informé. » Ainsi, il soutient que cette plateforme ne peut pas être le seul moyen d’expression de l’exécutif. « Il faut qu’elle soit accompagnée d’une communication qui soit plus grand public, que ce soit à la télé, à la radio, ou sur d’autres réseaux sociaux comme Facebook qui a un public plus large. »
Comme une réponse directe, Julien Tassy, chef du pôle communication digitale de l’Élysée, répond dans un entretien, à Julien Roman que « l’intérêt de faire du digital c’est de pouvoir toucher des gens qui […] ne lisent pas la presse, ne regardent pas la télévision et n’écoutent pas la radio. » Mais selon Sandrine Roginsky, qui a réalisé plusieurs travaux sur les parlementaires européens, le « dialogue avec les citoyens sur les médias sociaux est un élément largement surévalué ». Par définition, sur les réseaux sociaux, ceux qui voient les actualités du Président sont ceux qui suivent le Président. Ils sont donc, pour la plupart, déjà acquis à sa cause.
Les publications sur le compte Twitter d’Emmanuel Macron sont constituées à 17 % de photos et représentent 36 % des réactions des internautes aux tweets du Président. Ceux-ci sont donc plus attentifs aux images qu’aux textes sur cette plateforme. Pour Gaspard Gantzer, « la communication par l’image vous permet d’exprimer davantage une émotion ». Cependant, il relativise puisque les réseaux sociaux sont un passage obligé depuis quelques années. « Je pense que [M. Macron] prend davantage le tournant des réseaux sociaux parce que ceux-ci se sont développés au cours des dernières années et donc il prend acte et il le développe », explique-t-il.
Double casquette
Lors du lancement du Service National Universel (SNU), Tibo InShape, youtuber aux près de 6 millions d’abonnés (2019), avait participé au programme en juillet 2019. Dans une vidéo publiée sur sa chaîne YouTube, le jeune homme montrait le déroulement du service et discutait avec Gabriel Attal. Les influenceurs, payés par l’État, et donc avec de l’argent public, sont un réel atout communicationnel pour le gouvernement. Pour le tournage et la rémunération de son équipe, Tibo Inshape aurait touché entre 20 000 et 30 000 € selon le magazine Slate. Une mise en avant qui a fonctionné puisque cette vidéo comptabilise près de 2 millions de vues. Il n’est pas le seul à avoir été engagé par le gouvernement pour faire la promotion du Service National Universel et des actions de l’exécutif. C’est aussi le cas de Sundy Jules qui l’avait présenté sur Instagram. L’administration du SNU assume sa campagne de communication numérique : « Les followers de Tibo InShape, majoritairement de jeunes hommes, sont notre cible principale ».
En octobre, Enjoy Phoenix et Lena Situations avaient été contactées pour parler des dangers de la crise sanitaire. Un live Instagram a eu lieu entre Marie Lopez (Enjoy Phoenix) et Gabriel Attal sur le sujet en novembre 2020. L’initiative a reçu de nombreux retours positifs de la part de la communauté d’Enjoy Phoenix. Léna Mahfouf (Léna Situations), de son vrai nom, avait décliné l’offre. Gabriel Attal est également intervenu dans un live avec Juste Zoé, une autre influenceuse, en décembre dernier.
Ce 24 février, le porte parole du gouvernement lançait une émission sur Twitch : « #Sans Filtre ». Le premier rendez-vous sur sa chaîne avait pour thème la jeunesse en période de pandémie. Le porte-parole du gouvernement était accompagné d’EnjoyPhoenix, Malek Délégué, Elise&Julia et Fabian CR. Cette fois, l’accueil n’a pas été aussi chaleureux qu’auparavant. Beaucoup ont trouvé que la présence de youtubers lors d’un rendez-vous sur la jeunesse et ses difficultés n’était pas la bienvenue car pas représentative de la réalité des étudiants. Le hashtag #étudiantspasinfluenceurs est apparu sur Twitter dans les jours qui ont suivi le live.
Le rôle de Gabriel Attal est ici ambigu. C’est bien lui qui s’exprime, dans un look décontracté, avec sa personnalité et proche de ses interlocuteurs influenceurs. Mais la vidéo est tournée à l’Élysée, et le porte-parole répond aux questions des internautes, tout en défendant les actions du gouvernement. On assiste au symptôme d’un dysfonctionnement des représentations aussi bien du côté des intervenants que du côté de Gabriel Attal qui décrédibilise sa parole.
Une course à la hype
Le Président et ses partisans ne sont pas les pionniers de cette stratégie communicationnelle. Jean Luc Mélenchon demeure le principal influenceur politique. Il cumule des millions de vues sur Tiktok et affiche 70 000 followers sur Twitch. Sur YouTube, il est suivi par 512 000 abonnés, contre 199 000 pour Emmanuel Macron et 44 000 pour Marine Le Pen. Le parti de M. Mélenchon a même créé sa propre application le 28 octobre dernier. « L’insoumission » se veut être une plateforme d’informations politiques.
À l’opposé de l’échiquier politique, le Rassemblement National a plus de peine à se démarquer et à se faire aimer. Le parti de Marine Le Pen à l’habitude d’être censuré et banni de Twitter, plateforme sur laquelle ses partisans interagissent le plus. Pour éviter d’être réduit au silence à l’approche des nouvelles élections présidentielles, des personnalités de l’extrême droite rejoignent un nouveau réseau social américain : Parler. Celui-ci se veut être une alternative à Twitter, comme le montre leur slogan : « lisez l’actualité, parlez librement ». Marion Maréchal Le Pen, figure de l’extrême droite, en a fait la promotion récemment sur Twitter. « Pour contourner la censure de Twitter, beaucoup d’utilisateurs s’inscrivent sur le réseau social parler.com. Vous pouvez m’y retrouver ! », écrit-elle.
Les Républicains et le Parti Socialiste traînent la patte dans cette course à la séduction. Ils tentent de combler cet écart en se développant sur les plateformes d’échanges. L’ancien Président de la République François Hollande s’est rendu sur le live Twitch de Samuel Étienne pour interagir directement avec les millenials. Ceux-ci représentent 70 % des viewers. Les Républicains quant à eux assurent qu’ils ont réussi à rattraper leur retard. « On a effectivement souffert de cette image, mais aujourd’hui celle-ci est largement éculée », assure un partisan au Figaro.
Une parole non réglementée
Cette expansion de la parole politique sur Internet menace les réglementations autour du temps de parole. Depuis le 30 septembre 1986, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) veille au respect du pluralisme en France dans les programmes des services de radio et de télévision, en calculant les temps de parole et d’antenne.
Il développe dans un article les modalités de ce décompte. Pour cela, le conseil explicite les termes « équité » et « égalité ». La première est le « temps de parole/d’antenne proportionnellement à sa popularité (chiffres aux dernières élections, nombre d’élus du parti, les intentions de vote exprimées dans les sondages d’opinion, ses contributions dans le débat public) ». L’égalité est spécifique à la campagne : c’est exclusivement une « égalité entre les candidats à compter du début de la campagne officielle. »
En collaboration avec la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), le CSA a intégré la communication sur internet à la liste des facteurs jouant sur les temps de parole et d’antenne, grâce à la loi organique du 24 avril 2016. Dans un guide publié le 8 août 2016, le CSA et la CNIL rappellent les droits et obligations des partis politiques et des candidats sur leur communication sur internet. Ainsi à la veille du scrutin, il est interdit pour les partis politiques de diffuser une vidéo ou un contenu de propagande. Le jour du vote, ils ont interdiction de diffuser des chiffres liés à ce même scrutin avant la fin officielle du dépouillement. En revanche, la communication effectuée sur les plateformes comme Twitch ou YouTube n’est jamais mentionnée. Ainsi, les personnalités politiques, en passant outre les canaux traditionnels de communication, peuvent échapper aux réglementations en vigueur.
GIRARD-BLANC Noé
GRANATO Jessica
GROLET Arthur
GUT Samuel
HUTIN Raphaëlle