Les cérémonies de remises de prix sont-elles en train de lasser ?

NRJ Music Awards, Césars, Victoires de la Musique, Oscars, Molières, … Les cérémonies de remises de prix ne se comptent plus, pourtant les audiences télé fléchissent d’année en année et le public semble s’en désintéresser. Alors, problème de fond, de forme, de banalisation ? Les questions sont nombreuses.

L’an dernier, selon Médiamétrie, la cérémonie des NRJ Music Awards diffusée sur TF1 a peiné à dépasser les 4 millions de téléspectateurs, battue par France 2 et France 3. (photo Victor C.)

Est-ce encore réellement « un événement incontournable » ? C’est comme cela que NRJ présente dans un communiqué la 24ème édition de ses Music Awards, qui aura lieu le 18 novembre à Cannes. La question a le mérite d’être posée, lorsque l’on observe les audiences du programme ces dernières années qui, hormis l’édition 2020 marquée par le confinement et la fermeture des salles de spectacle, sont en chute quasi-constante depuis dix ans. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la cérémonie musicale diffusée sur TF1 n’est pas la seule à être dans cette situation : les cérémonies cinéphiles ne sont pas épargnées non plus. La cérémonie des Césars 2022, diffusée le 25 février dernier en clair sur Canal +, a réuni seulement 1,3 millions de téléspectateurs, bien loin du record de 3,9 millions en 2012. Les Oscars ont pu respirer un peu cette année, puisque quinze millions d’Américains ont scruté la cérémonie, après avoir touché le fond en 2021 avec dix millions de téléspectateurs. Cela reste malgré tout la seconde pire performance de l’événement depuis qu’il est retransmis à la télévision. Alors, d’où vient le problème ?

Dans le milieu musical, un manque d’événementialisation ?

Et si tout était une question de banalisation ? La question se pose pour les NRJ Music Awards. Cette soirée, où l’on remet des trophées aussi bien aux artistes francophones qu’internationaux, est conçue comme un événement majeur : il faut donc se distinguer des autres programmes diffusés dans l’année. Cette différence, c’était la venue de stars internationales sur le plateau, qui venaient en personne faire le show et recevoir des récompenses. Les artistes français sont en effet bien plus régulièrement à l’antenne sur la première chaîne, notamment sur les autres émissions présentées par Nikos Aliagas. Problème, depuis quelques années, les stars se déplacent moins, beaucoup moins : sont en cause les maisons de disques, de plus en plus frileuses à financer la venue des artistes au vu du faible retour sur investissement. Résultat, l’année dernière, seuls le groupe Imagine Dragons et le chanteur Ed Sheeran ont fait le déplacement à Cannes. La cérémonie perd donc petit à petit son atout, et le programme se banalise. Preuve ultime du tort que cause à TF1 et NRJ l’absence de stars, les Victoires de la Musique sur France 2, qui ne récompensent que des artistes français, réalisent une audience à peu près stable sur 10 ans. Enfin, quid de la multiplication de ces cérémonies ? Si en France, les deux cérémonies que nous venons d’évoquer se partagent le gâteau, aux Etats-Unis les remises de prix musicales sont bien plus nombreuses : American Music Awards, Grammy Awards, en passant par les MTV Video Music Awards. De quoi provoquer une certaine lassitude, surtout que toutes sont prestigieuses, contrairement à celles du monde du cinéma.

Chez les cinéphiles, des accusations d’ « entre-soi » et des scandales à répétition

Mais ce n’est pas pour autant qu’elles s’en sortent mieux : dans les faits, pour les Oscars, c’est même pire que dans le milieu musical : regardée par 43,7 millions d’Américains en 2014, la cérémonie a réalisé son plus bas score historique en 2021, avec seulement 10,4 millions de cinéphiles. Ici pourtant, les stars du cinéma sont toujours là, toujours en quête de la mythique statuette dorée. C’est plutôt le fonctionnement du secteur qui est mis en cause : la cérémonie a perdu près de 6 millions de téléspectateurs entre 2017 et 2018, année synonyme du début du mouvement #MeToo. Plus récemment, lors de l’édition 2022, l’affaire de la gifle de Will Smith a fait beaucoup de bruit. Au-delà de cette succession de scandales, la cérémonie est taxée d’être le symbole de l’entre-soi dans le monde du cinéma, un reproche de plus en plus fréquent : cinéastes et acteurs se remettraient des prix entre eux, pour le prestige. Un reproche et des scandales qui ont traversé l’Atlantique, jusqu’à atteindre nos Oscars à nous, les Césars du cinéma. Les problèmes sont similaires, et se traduisent par la même chute vertigineuse des audiences de la retransmission sur le petit écran, diffusée en clair sur Canal + tous les ans. En effet, la soirée de remise de prix a vu son image largement abimée par l’édition 2020 : cette année-là, entre la démission des membres de l’Académie et le départ fracassant d’Adèle Haenel suite à l’attribution d’un trophée à Roman Polanski, les critiques d’entre-soi ont atteint leur paroxysme. Les problèmes sont donc nombreux, mais ne viennent pas réellement du principe même de remise de prix, qui garde son prestige.

Certaines cérémonies sont en plein essor, preuve de l’intérêt qu’elles peuvent encore susciter

La preuve en est que dans d’autres secteurs, des cérémonies du même type gagnent de l’audience chaque année. C’est notamment le cas dans le monde du foot, avec la remise du Ballon d’Or qui a réalisé son record d’audience historique sur la chaîne l’Equipe il y a quelques semaines, mais aussi, peut-être plus surprenant, dans le milieu du jeu vidéo. Depuis plusieurs années maintenant sont organisés aux États-Unis les Game Awards, avec 85 millions de spectateurs en direct sur internet cette année, la cérémonie est en progression constante depuis sa création. Pourtant, les développeurs ne sont pas des stars, alors quelle est la recette ? Et bien des nouveaux jeux sont annoncés tout au long de la cérémonie, entrecoupés de remises de statuettes et de mini-concerts : on a simplement remplacé l’humour traditionnel attendu lors des cérémonies cinéphiles par exemple par des bandes-annonces réclamés par les fans : la soirée en soi est donc exactement la même. Peut-être la preuve que le problème des cérémonies traditionnelles n’est pas la soirée en soi, mais bien ce qu’il y a autour.

Victor COMBALAT