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Imprimer les journaux : des risques pour la santé derrière les rotatives
Dans les rotatives de Nice-Matin, les salariés font face à des risques pour leur santé : perte d’audition, troubles musculaires, troubles de récupération et risques chimiques

Plaques d’impression rotatives de Nice-Matin 8/02/2023 (Crédit photo : Nina Osmond)
« Au niveau de l’audition, j’ai beaucoup perdu dans les aigus, avec le bruit de la machine » confie William, un rotativiste affairé à charger les bobines de papier à la “cave” des rotatives de Nice-Matin. Salarié depuis 35 ans à l’imprimerie des journaux quotidiens des Alpes-Maritimes, William, alterne entre la conduite des machines, la mise en place des bobines de papier et la sortie des plaques d’impression.
Des risques de surdité
« A la cave, il y a moins de bruit, je préfère … Parce qu’au-dessus, il y a la machine (la presse plieuse) qui fait énormément de bruit, c’est plus fatiguant » explique William. L’environnement sonore dans les rotatives à proximité de la presse plieuse, atteint les 90 décibels. « Dans les rotatives, il y a une forte nuisance sonore, confirme le Dr Gouyet, et les critères de maladie professionnelle sont fixés à partir de 85 décibels ». Pour le médecin du travail de l’agence de Rennes du journal de presse quotidienne Ouest France, il n’y a qu’une seule solution pour éviter les risques de surdité : « la prévention et la protection ». En amont, « l’employeur est obligé de fournir des protections auditives, des casques ou des bouchons, avec des filtres » précise le médecin. Pour protéger l’audition des rotativistes, « dans certaines rotatives, les salariés sont isolés dans des cabines insonorisées » ajoute-il. Mais dans l’imprimerie de Nice-Matin, la presse plieuse bruyante est dans une salle adjacente à celle où des salariés règlent l’encrage et alignent les couleurs. Les deux salles sont séparées par des vitres et des portes vitrées par lesquelles les rotativistes prélèvent des journaux régulièrement pour faire des vérifications toute la nuit. « Quand les portes sont ouvertes, c’est assez pénible mais quand les portes sont fermées, le bruit ça va » juge Paul, la trentaine, qui vérifie s’il y a assez de bleu, de rouge, de noir et de jaune dans le journal.
“Garder les casques, c’est désagréable”
Mais rares sont les rotativistes qui portent casques ou bouchons dans les salles attenantes à la presse plieuse de Nice-Matin. Les salariés, qui admettent connaître les consignes, reconnaissent ne pas toujours les appliquer : « Normalement il faut mettre le casque ou les bouchons, mais les garder toute la nuit c’est désagréable, normalement c’est obligatoire. Quand on perd de l’audition c’est de notre faute, on devrait mettre les casques, surtout à côté de la plieuse. En général, on se protège plus quand on est en haut, à l’impression, à côté de la machine qu’ailleurs » confesse William. Le Dr Gouyet n’ignore pas ces manquements en matière de protection, « lorsqu’on fait les visites de contrôle médical, les employeurs sont prévenus, et tous les rotativistes portent des bouchons d’oreilles ou des casques anti-bruit, mais ça ne m’étonnerait pas que ça ne soit pas toujours le cas ».
Sans protection auditive, « il y a un risque de surdité sur plusieurs années, cela implique des appareillages voire une perte de poste pour les salariés » expose le Dr Gouyet. Le médecin du travail met en place une surveillance de l’audition par audiogramme avec une fréquence qu’il définit. Pour le Dr Gouyet, « c’est à l’employeur de veiller à ce que les consignes soient respectées et de sensibiliser les salariés aux risques ». L’intérêt n’est pas uniquement pour la santé des salariés, mais aussi pour l’entreprise, éviter les risques de surdité permet aux employeurs «de ne pas avoir à prendre en charge les frais médicaux liés à l’appareillage ».
Des difficultés de récupération, des risques musculaires et des risques chimiques
Les risques sanitaires dans les rotatives ne se limitent pas à l’audition. Il y a des risques liés à des difficultés de récupération à savoir, des risques cardiovasculaires, des risques de diabète et de surpoids. Il y a aussi des risques musculosquelettiques au niveau des épaules lors de la manipulation des plaques pour l’impression. Et enfin, il y a « des risques chimiques dans l’air des rotatives à cause de l’encre, il est nécessaire de faire des relevés pour s’assurer qu’on est en dessous des normes » indique le Dr Gouyet. Les rotativistes, par leur travail de nuit, entrent dans la catégorie de la surveillance individuelle adaptée. Ils bénéficient d’une visite médicale tous les 3 ans. William estime que ce n’est pas suffisant : « On devrait avoir plus de visites médicales, ce n’est pas normal étant donné les risques pour la santé ». Les salariés en surveillance individuelle renforcée sont suivis médicalement tous les deux ans, pour être éligible, il faut être exposé à des éléments chimiques à risque pour la santé ou la sécurité listés par le code du travail.

Presse Plieuse, rotatives de Nice-Matin 8/02/2023 (Crédit photo : Nina Osmond)
Un travail de nuit intense et variable
« On est à “fini parti”, on commence à 22h30, on finit à 4h30 et si on finit à 2h on part. Mais ce n’est jamais pareil, parfois on finit plus tard, si on attend les articles sur des résultats de match ou d’élections, on peut finir à 5h. Si la machine a des problèmes, ça m’est arrivé de finir à 8h du matin » raconte William. Selon l’agence nationale de sécurité sanitaire et de l’alimentation, le travail de nuit régulier ou non peut entraîner à des risques pour la santé notamment des risques avérés de troubles du sommeil, de troubles métaboliques, et des risques probables cancérogènes, de troubles cardiovasculaires et de troubles psychiques.
« Toutes les 6 semaines on tourne entre les équipes de jour et de nuit. Les équipes de jour entretiennent la machine, les équipes de nuit impriment les journaux » détaille William en regardant son planning. Le travail de nuit non régulier expose les salariés à des perturbations de leur rythme biologique. « Pour les horaires successifs alternés, quand un rotativiste alterne sur la même semaine entre travail de jour et travail de nuit, le risque est plus important. Lorsqu’il y a une période de transition pour passer d’un travail de nuit à un travail de jour, c’est l’idéal, il y a moins de risques sanitaires » explique le Dr Gouyet. S’il admet que « les mesures de prévention en santé se sont améliorées avec le temps », il déplore que « les personnes ayant commencé à travailler il y a 30 ans n’en ont pas bénéficié dès le début de leur carrière ».
Nina Osmond