Les nouveaux ennemis intérieurs

C’est une nouvelle étape que vient de franchir le gouvernement conservateur canadien. Réprimer les opposants à ses projets industriels n’est pas nouveau de la part du Premier ministre Stephen Harper pro-énergies fossiles et climato-sceptique. Ce sont les moyens législatifs qui sont en passe d’évoluer avec le projet de Loi C-51.

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Mobilisation au Québec contre l’oléoduc d’Énergie Est. (Crédit Photo: D.R.).

Utiliser l’appareil policier pour museler le mouvement écologiste n’est pas une tactique nouvelle de la part du gouvernement canadien de Stephen Harper. La fusillade au Parlement d’Ottawa, qui a fait deux morts en février 2014 a apporté de l’eau au moulin conservateur. « Je pense qu’il est évident que les attaques d’octobre dernier étaient au moins inspirées par la vision insensée de l’État Islamique, une organisation terroriste génocidaire qui a déclaré, à plusieurs reprises, cibler le Canada », a prévenu Jason Kenney, ministre de la Défense. Depuis cet événement, le gouvernement canadien a accéléré le processus législatif au nom de la lutte antiterroriste. Il tente actuellement de mettre en œuvre un projet de loi, dit C-51. Il pourrait priver des individus de la protection de la Charte canadienne des droits et libertés de la personne.

Une redéfinition (floue) du terrorisme
Fin février, le projet de loi déposé à la Chambre des communes a été adopté en deuxième lecture — les conservateurs sont majoritaires au Parlement. Il est désormais étudié par un comité parlementaire. Mais que prévoit ce projet de loi que certains juristes qualifient de « dérive autoritaire », alors qu’une centaine d’organisations « refusent d’être manipulés au nom de la sécurité » ?

En 2010, le gouvernement amorce une phase d’expérimentation en créant l’Unité de sécurité intégrée (USI) en vue du sommet du G20 à Toronto et des Jeux Olympiques de Vancouver; deux éventuelles « cibles » pour des menaces intérieures et extérieures. L’USI comprend 15 500 policiers de 120 agences de sécurité gouvernementales. Cette « super-administration » dispose d’un accès étendu à toutes les données des forces de police. Un accès si étendu qu’il va progressivement inclure des organisations sans rapport direct avec le terrorisme. Vont donc être surveillés, l’ensemble des organisations exprimant un désaccord politique avec les JO.

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Avec la Loi C-51, cet élargissement du pouvoir de surveillance des instances policières serait formalisé. Les mouvements sociaux et écologistes qui critiquent l’industrie pétrolière se sentent directement visée par cet arsenal législatif. La Loi C-51 présentée par le Stephen Harper étend les pouvoirs des organisations de sécurité en termes d’information. Le mode d’action violent n’étant plus le critère pour juger la notion de terrorisme, toute personne qui entraverait « le fonctionnement d’infrastructures essentielles » serait ciblée.

C’est aussi la question du manque de supervision des agences de surveillances qui éveillent les inquiétudes, notamment de la part des libéraux qui ne remettent pas en question l’objectif de cette loi.

 

Une dérive autoritaire d’Harper ? « On est habitué… »
Alors que depuis près de dix ans, des citoyens de l’ouest canadien — y compris les communautés amérindiennes — dénoncent un projet de pipeline et qu’au sud, Barack Obama a barré la route trois fois au projet d’oléoduc de Keystone, le gouvernement canadien s’est tourné vers l’est. Dans la Belle Province, le projet législatif du gouvernement fédéral a un écho particulier. Le Regroupement Vigilance Hydrocarbure du Québec, qui comprend 120 comités de citoyens, lutte contre le projet d’oléoduc Énergie Est [voir les détails du projet ci-dessous]. Son porte-parole Jacques Tétreault s’indigne : le projet de loi C-51 « est une grande menace. C’est explicite : bloquer le développement économique du Canada pourrait être perçu comme un acte terroriste. Et je prends des risques en parlant de « terroriste » sur Skype et sur ma ligne téléphonique. Je suis très certainement écouté par la SRC [Sécurité Royale du Canada, ndlr]. Mais je m’en fou, car notre protestation est légale ». Une dérive autoritaire du gouvernement ? « On est habitué, ça fait 10 ans qu’on voit ce genre de dérive autoritaire d’Harper. Il a commencé son deuxième mandat en destituant 300 lois canadiennes, surtout des lois environnementales. C’est seulement s’il y a un impact sur le PIB que le Canada protège les cours d’eau. »

Même inquiétude du côté de l’Association des Juristes Progressistes, pour qui « cette nouvelle loi « antiterroriste » constitue une menace sérieuse pour les libertés publiques de la population canadienne assurées par la Charte canadienne des droits et libertés. La criminalisation du fait de préconiser ou de fomenter la perpétration d’infractions de terrorisme « en général » constitue un dangereux glissement et est problématique eu égard aux libertés d’opinion et d’expression ».

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Le tracé prévu du pipeline de TransCanada. Un projet d’oléoduc d’une ampleur jamais vue en Amérique du Nord : ce pipeline de 4 600 kilomètres pourrait transporter environ 1,1 million de barils de pétrole par jour. De l’est du Canada, l’exportation du pétrole se ferait en direction des États-Unis et de L’Europe. (Image : TransCanada)

Le gouvernement Harper, par l’intermédiaire de son ministre Steven Blaney, a tenté de justifier un des articles du projet de loi qui rend illégal le fait d’applaudir à un acte terroriste : «L’Holocauste n’a pas commencé dans les chambres à gaz; ça a commencé par des mots», avant d’invoquer le génocide au Rwanda et de soutenir que les citoyens canadiens comprennent que leur liberté dépend de leur sécurité. Le gouvernement dit vouloir « protéger les droits et libertés des Canadiens « face à la menace terroriste » et rejette « l’argument selon lequel chaque fois que nous parlons de sécurité, nos libertés sont en péril ».

Ce qui inquiète plusieurs associations, c’est la portée de ce texte qui pourrait être une menace pour tous les mouvements de contestation. C’est en autres la position de l’ancien porte-parole étudiant durant le « Printemps Québécois », Gabriel Nadeau-Dubois. Selon lui, le mouvement social sans précédent de 2012 n’aurait pas eu la même ampleur si ce texte avait été en vigueur à l’époque. Jacques Tétreault renchérit : « Il y a malheureusement des gens qui se font intimider facilement dans notre société. Ce n’est pas évident de se sortir la tête du troupeau et d’affronter le vent de l’opposition. Si on risque d’être identifié dans une manifestation, une partie des citoyens se désinvestissent. »

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Nicolas Richen

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