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RIG Turquie #2: la grande purge d’Erdogan: les journalistes
Le gouvernement turc mène une purge inédite à la suite de la tentative de putsch du 15 juillet 2016.
Les journalistes sont une des cibles favorites des autorités turques. A ce jour, 195 médias (presse écrite, radio et télévision) ont été supprimés depuis le 15 juillet 2016. Le premier quotidien turc en termes de diffusion payée, Zaman, principal quotidien d’opposition, a été mis sous-tutelle avant de réapparaître avec une ligne éditoriale pro-gouvernementale, qui lui a valu une chute brutale de ses ventes.
La répression envers les journalistes est particulièrement violente : plusieurs cas de torture et de harcèlement sexuel ont été dénoncés, notamment par le site Turkey Purge qui recense des données sur la purge et publie des articles sur la répression et les atteintes du gouvernement aux droit de l’Homme. Il a été créé seulement quelques jours après le putsch avorté. Derrière cette initiative, des jeunes journalistes qui tentent “d’être la voix du peuple turc qui souffre du régime oppressif”. Certains d’entre eux, témoignent-ils, ont des amis proches “actuellement torturés en prison”, ou ont encore été “personnellement purgés par le gouvernement”.
Pour des raisons de sécurité ils ont souhaité rester anonymes. “La liberté d’expression et la liberté de la presse diminuent chaque jour. Aujourd’hui, presque tous les journaux nationaux et les chaînes de télévision sont contrôlés par le gouvernement. Les membres du gouvernement et le président Recep Tayyip Erdoğan accusent les journalistes emprisonnés d’avoir des liens avec le mouvement de Gülen, que les autorités turques accusent d’avoir mené le coup d’état du 15 juillet. Le mouvement nie toute implication.” Le gouvernement prétexte ainsi l’existence de menaces nationales pour utiliser la législation de manière abusive. “Le gouvernement se sert du code pénal, de la législation sur la diffamation, la criminalité et de la loi antiterroriste du pays pour punir les rapports critiques et les journalistes font face à de plus en plus de violence, de harcèlement et d’intimidation”, dénoncent-ils.
“La situation en Turquie ne fait que s’aggraver”
Kerem* est un des éditeurs de Turkey Purge, il travaillait pour “un des plus grands médias du pays”. Pour échapper à la répression il dû fuir la Turquie. “Après la tentative, le gouvernement turc a fermé mon journal et m’a délivré un mandat de détention. J’ai fui la Turquie illégalement en bateau, à travers la mer Égée et les autorités grecques m’ont trouvé. Elles m’ont placé dans un camp de réfugiés près d’Athènes, j’y suis resté 25 jours. Ensuite, je suis allé aux États-Unis. À Manhattan, je suis allé au consulat turc et les autorités turques ont saisi mon passeport en disant que j’étais recherché en Turquie. Si je retourne en Turquie, je serai arrêté à l’aéroport et mis en prison. J’ai beaucoup d’amis journalistes proches dans les prisons turques et ils sont bloqués là-bas. Je n’ai aucun moyen de les contacter”.
Kerem n’est pas vraiment optimiste en ce qui concerne l’avenir, « la situation en Turquie ne fait que s’aggraver…« . Le pouvoir est maintenant concentré entre les mains du président et de son gouvernement qui tente d’étouffer toutes les voix dissidentes. Un projet de réforme constitutionnelle est actuellement en cours et sera voté par référendum le 16 avril 2017. Cette réforme renforcerait les pouvoirs du président Erdogan en supprimant le poste de Premier ministre et en conférant ses fonctions au président Erdogan, qui deviendrait alors chef de l’exécutif. Les élections présidentielles et législatives se dérouleraient simultanément. Erdogan pourrait également nommer ou limoger les ministres et intervenir directement dans le fonctionnement de la justice. Le gouvernement turc justifie cette évolution vers un régime présidentiel par la nécessité de renforcer la Turquie, qui serait sous la menace terroriste de l’Etat islamique et de la rébellion Kurde. Si elle est adoptée, cette réforme constitutionnelle confortera la dérive autoritaire constatée depuis le 15 juillet 2016.
Djenaba Diame
*Le prénom a été modifié